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L’Assemblée provinciale : une arme pour manipuler ou évincer les gouverneurs en RDC

Depuis 2015, la République Démocratique du Congo est passée de 11 à 26 provinces. Que de changements, en effet. De nouveaux gouverneurs se sont installés confortablement, mais pas tous. 15 d’entre eux ont été déchus de leurs fonctions, accusés de mauvaise gestion, mais presque aucun d’entre eux n’a été poursuivi en justice pour cela. Curieux non ?

De l’avis de Jeff Mudimbi Kapilu, professeur en sciences politiques à l’Université de Lubumbashi, la précipitation est le crime de cette division administrative de la RDC. La Constitution de 2006 avait fixé l’entrée en vigueur de cette réforme à 36 mois, en 2009 donc. Mais il a fallu près de 9 ans pour la voir se réaliser. Un découpage plutôt mal préparé, subitement accéléré et exécuté la même année, en 2015.

Plusieurs analystes s’accordent pour dire, comme Jeff Mudimbi, que le fait de passer de 11 à 26 provinces visait à affaiblir le pouvoir des provinces. On évoque ainsi le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi alors vu en train de basculer dans l’opposition ou de vouloir porter ombrage au président Kabila. Il fallait alors réduire sa force.

Le choix de nouveaux gouverneurs, dans ce contexte, n’a donc pas été guidé prioritairement par l’objectif d’asseoir ces nouvelles entités administratives pour impulser le progrès social et économique à la base. La question est politique. Certaines Assemblées provinciales sont mises au pas. Les députés déchoient plusieurs gouverneurs qu’ils avaient pourtant élus comme meilleurs.

Des parlementaires sans poids

Avec ces destitutions, on croirait d’emblée à l’action souveraine des députés. Mais à voir ceux qu’ils élisent, ce sont des militants du pouvoir, et rarement des candidats émergés des provinces. On se rend alors compte que les députés n’agissent pas en toute souveraineté. Pire, ils ne pèsent pas assez, dans des cas où l’exercice de leur pouvoir est requis.

Dans la province du Haut-Katanga, par exemple, l’élection du gouverneur Célestin Pande Kapopo en 2017 a remis à la surface l’influence du pouvoir central sur les députés provinciaux qui n’ont de voix que pour valider le choix suprême de Kinshasa. On a vu Joseph Kokonyangi, secrétaire adjoint de la majorité présidentielle et ministre national de l’Urbanisme et  Habitat, conduire une importante délégation du pouvoir pour soutenir le candidat Pande Kapopo à Lubumbashi. Toutefois, il faut noter le fait que face à lui, l’adversaire venu de nulle part, n’avait au départ que peu de chance de l’emporter. Kokonyangi avait alors assuré : « Cette fois-ci le ticket de la majorité présidentielle va appliquer la « démocratie pratique » et que ses candidats ont pour mission prioritaire le social de la population du Haut-Katanga et le redoublement des efforts pour le développement de la province, selon la vision du chef de l’Etat Joseph Kabila ».

La justice restée sans voix

Mais pour plus d’un, c’est à ce moment que les voix des députés ont été achetées. Dans une élection normale, on se demande ce que le parti au pouvoir devait faire la veille du vote. Mais ceci n’est pas la première fois. Ce fut pareil, une année plus tôt, lors de l’élection de Jean-Claude Kazembe au même poste. Un gouverneur destitué, et qui a été rétabli par la Cour constitutionnelle pour vice de procédure lors de sa destitution. Mais il ne retrouvera jamais son poste. En outre, les fonds qu’il aurait détournés,  logés dans un compte gouvernemental d’après l’intéressé, n’ont jamais été remboursés, ni déclarés retrouvés. De quoi convaincre ses proches qu’il a été victime d’une cabale politique pour être remplacé.

Au Sud-Kivu,  c’est le gouverneur Marcelin Cishambo qui résistait au pouvoir des députés autant qu’au ministre de l’Intérieur. On pensait qu’il était soutenu par le président Kabila. Mais il fut lui aussi destitué.

Au total, 15 gouverneurs ont été déchus, et dans le Katanga, deux sur quatre nouvelles provinces, deux sur cinq dans les Kasaï, etc. Mais la surprise, c’est que les députés qui destituent ainsi les « mauvais gestionnaires », pour la plupart accusés de malversation financière, n’ont pas saisi la justice. Celle-ci ne s’est pas non plus saisie d’office. Ne dit-on pas que « la justice congolaise est politisée et inféodée au pouvoir » ? Une pire vérité que rappelle Jeff Mudimbi.

 


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