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Massacres de Beni : dans la tête d’un homme décapité

A Beni et dans sa région, les massacres se poursuivent. Les populations civiles sont décimées par des « présumés ADF ». Beaucoup de personnes sont tuées. On ne les connaît pas, ni leur nom, ni leur visage. Voici l’histoire d’Amani.

Je m’appelle Amani, j’étais père de 5 enfants dont deux filles. Mon nom en français signifie la paix, quelle triste ironie car il y a quelques mois j’ai été tué à la machette par des hommes en armes que le gouvernement congolais appelle « présumés ADF ». N’ayez pas peur de lire un mort. A travers ce texte je ne viens pas vous hanter, je viens plutôt vous raconter les dernières heures de ma vie. Je voudrais que le monde ne me prenne pas que pour des simples statistiques, mais que l’on sache que chaque victime de Beni, est une personne. Que derrière chaque chiffre de victime se trouvent des familles et amis, bref une vie.

Hier soir, j’étais content de rentrer à la maison après ce super match de mon équipe préférée, le FC Barcelone. Madeleine, mon épouse, n’aime plus que je reste dehors tard le soir car l’insécurité bat son plein à Beni. Les présumés ADF ont attaqué récemment le quartier Boïkene, en pleine ville. Mais hier, elle n’était pas en colère que je sois parti car elle connaît ma passion pour l’équipe de Lionel Messi. Les enfants dormaient déjà à mon retour. Mon fils aîné Samson devait encore manipuler son téléphone car une lumière blanche sortait de sa chambre qu’il a dans la petite annexe.

Madeleine n’aime pas quand je sens la bière

Je n’ai pas pu discuter avec ma femme. J’aurai voulu lui faire l’amour, mais je sentais beaucoup l’alcool et Madeleine n’aime pas quand je sens la bière. Je la connais ma bonne épouse, 21 ans qu’on est ensemble et je l’aimais encore comme au début. Je me souviens qu’avant de dormir elle m’a rappelé que nous devions encore de l’argent à la marchande de banane plantain du quartier. « On paiera demain quand je reviendrai de Kasindi », lui ai-je répondu négligemment. Sur ces mots je me suis endormi. J’étais loin de m’imaginer que c’était la dernière nuit que je passais dans ma maison. Ce voyage prévu pour Kasindi, à la frontière avec l’Ouganda sera mon dernier.

Réveillé de bonne heure, il me fallait prendre une rapide douche froide, cela me ragaillardit après une soirée de bière et de foot. En revenant de la douche, je croisais ma fille Adeline qui était déjà prête pour l’école. Elle est ma fierté Adeline, à peine 17 ans et elle va avoir son diplôme d’Etat. Elle me dit bonjour et m’expliqua en passant qu’elle avait déjà décidé où elle ferait ses écoles universitaires : Goma. « Je vivrai chez l’oncle Sylvain, au moins là je suis sûre qu’il n’y aura pas d’interruptions à cause de l’insécurité », m’avait-elle dit ce matin-là, j’étais d’accord avec elle, mais je lui avais promis d’en rediscuter le soir quand je serai rentré. Furtivement, je passais aussi devant la chambre des trois derniers, je pouvais distinguer Faustin et Robert dans leur lit et la reine Sarah dans le sien.

Dernier voyage

Durant le voyage Emmanuel, notre chauffeur habituel nous racontait encore ses blagues et ses aventures quand il vivait encore à Kinshasa. C’était agréable de voyager avec lui. Il y avait quatre autres personnes, des habitués eux aussi de ce parcours. « Vous savez que pendant 20 ans comme chauffeur de taxi  je n’ai commis aucun accident à Kinshasa ? » Emmanuel disait cette phrase quand des hommes en armes nous ont demandé de nous arrêter en nous menaçant de tirer sur nous.

En moins de 10 minutes nous étions tous ligotés les mains dans le dos et à genoux dans la brousse à 20 mètres de la route principale. Ils refusaient de nous dire ce qu’ils attendaient de nous, ils avaient refusé de prendre l’argent. La voiture brûlait déjà. C’est là que je compris que c’était sûrement la fin.

Dernier regard

Unilatéralement et sans se concerter nous l’avions tous compris, tous sauf Emmanuel qui tenta de s’échapper et une salve de tirs le mis à terre à seulement 3 mètres. Horrifiés, nous le voyions vomir du sang et ses tripes sortir de son abdomen. Notre seul espoir fut donc d’obéir à chaque ordre en espérant une grâce ultime de ces personnes. On tua à coups de poignard ou de machette deux personnes avant que ce ne soit mon tour. Elles n’avaient rien osé pour échapper à cette mort certaine.

Par moment mon cerveau m’amenait loin d’ici. J’étais dans un endroit inconnu, dans le vide, quand les cris d’une victime me ramenaient à la réalité. Je pensais à tout et à rien, à ce que je ferai si jamais je m’en sortais, à la dette des bananes, et aux enfants que je n’avais pas pu saluer le matin. J’espérais et je désespérais à la fois. Je repensais au dernier match que j’avais vu et à la cave à nourriture que j’avais promis de construire pour la maison. Je pensais à ma mère, je ne l’avais pas vue depuis 4 ans. Je pensais à tout ça et à rien à la fois. Puis je pensais à la bague de notre mariage. Je voulais y jeter un dernier regard, mais avec les mains liées dans le dos je ne le pouvais pas. C’est là que je sentis une main pousser ma tête en avant pour mettre en évidence mon échine et une lame froide sur mon cou. J’étais un homme mort.

 

Note : Ceci est une fiction imaginée par l’auteur pour redonner vie aux victimes quotidiennes de Beni. Mais le drame auquel il fait allusion est basée sur des faits réels. La nuit de ce mardi 7 janvier, 10 personnes ont été tuées près de l’aéroport de Mavivi à Beni et aucune autorité n’en a parlé.

 

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Les commentaires récents (3)

  1. L’indifférence a hanté aussi l’esprit des congolais, sinon chacun comme vous là a un combat à mener pour en finir avec ces tueries.
    Vs avez fait votre par, félicitations