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Prêcher dans les taxis : entre servir Dieu et le ventre

A peine le bus s’est-il mis en mouvement, qu’un des passagers, assis derrière le chauffeur se met debout. Tenant une Bible dans sa main droite, il lance : « Bandeko kati na Nkolo, alléluia ! ». Traduisez : « Frères et sœurs dans le Seigneur, alléluia ! » Timides, les passagers répondent quand-même : « Amen ! » Mais ils ne savent pas qu’ils viennent de mordre à l’hameçon.

Nous sommes à bord d’un vieux bus Mercedes 207 sur l’avenue Poids lourds devenue boulevard Congo-Japon. Direction Kingabwa, un des quartiers populaires de Kinshasa.

Prêcher la parole de Dieu avant même de se présenter à son auditoire

Notre prédicateur debout entonne un court cantique. Puis il demande l’indulgence de son auditoire pour, dit-il, partager avec lui la Parole de Dieu. Sans tarder, il ouvre sa Bible et se met à lire au verset 7 du chapitre 6 de l’évangile de Mathieu.  « Dieu pourvoit toujours à nos besoins », s’exclame-t-il après la lecture.

« Amen », réplique presque instantanément une femme d’apparence très religieuse. Assis à son extrême gauche au troisième banc, un homme proteste à vive voix: « Makambo ya boye ezuaka kaka basi. » « Seules les femmes se laissent emballer par de telles histoires ». Les autres passagers sont partagés entre rire et écouter la Parole de Dieu.

Pendant près de 15 minutes, le prédicateur réussit à élever l’auditoire au « firmament », mais à l’approche du terminus de notre bus, il doit revenir sur terre. Il entonne à nouveau un cantique et termine son sermon par une courte prière.

Faites des dons à Dieu

Vient alors pour lui le moment de se présenter : « Je suis l’évangéliste frère Christophe (nom d’emprunt). Pour ceux qui voudraient bien entrer dans la profondeur du mystère que je viens de vous enseigner, notre église se trouve dans la commune de Masina chez le pasteur Kalombo. »

Mais le frère Christophe ne s’arrête pas là. Il ajoute : « Que celui qui s’est senti touché par l’évangile puisse donner quelque chose à Dieu, car nous avons besoin d’acheter un lance-voix et construire l’église de Christ qui est à ce jour en chantier. »

Un certain silence dans le bus. « Voilà ! Je savais qu’il allait chuter par là », revient à la charge le protestataire dont on a parlé ci-haut. La réaction de cet homme divise encore une fois les passagers. Certains lui recommandent de se taire. « Monsieur, il faut respecter les hommes de Dieu ! », lui lance-t-on. D’autres passagers par contre l’encouragent. « Généralement dans les bus qui vont des communes populaires vers le centre-ville ou vice versa, il y a toujours un homme qui prêche et qui finit par la même requête : cotisation pour une église en construction, assistance aux vulnérables… C’en est trop ! », déplorent ceux qui s’opposent au prédicateur.

Les volontaires ne manquent pas

Pendant que la discussion augmente en intensité, quelques personnes, des femmes pour la plupart, offrent qui 500 FC, qui 1000 FC à « l’homme de Dieu ». Une petite belle moisson ! Le prédicateur les remercie par une prière où il implore le « Très haut » à leur rendre au centuple ce qu’elles ont donné.

De quoi indigner davantage le protestataire qui d’un coup demande au chauffeur de le laisser descendre à la hauteur de l’arrêt Wenze ya mbila.  Un départ interprété par certains comme un acte de protestation, et par d’autres comme l’intervention divine pour mettre hors d’état de nuire cet homme apparemment rebelle aux affaires de Dieu. Alors qu’il descend du bus, l’homme en colère lance des quolibets au prédicateur. Ce dernier lui rétorque : « Ah, oza petit joueur », (tu es un petit joueur), en langue lingala.

Enfin, le bus arrive au terminus. Tout le monde descend, mais curieusement le fameux évangéliste ne paye pas sa course, il ne descend pas du bus non plus. Il garde le même siège pour qu’il puisse prêcher encore lorsque le bus va repartir au centre-ville.

Dans les bus de l’Etat, cette pratique est interdite, car considérée comme abusive. On y trouve des inscriptions telles que : « Interdiction de prêcher. »

 

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Les commentaires récents (1)

  1. Réalité de notre pays bien illustrée. En 10 ans j’ai vu un seul homme parmi des centaines de prêcheurs de bus refuser l’offrande parce que disait il, son intention était seulement d’encourager et fortifier les frères et sœurs avec la parole de Dieu. Tous les autres étaient dans la lignée de cet « homme de Dieu » décrit dans cet article.