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Le verbe voter est-il mal utilisé en RDC ?

Voter veut dire, dans une compétition électorale, donner son suffrage à quelqu’un. Idéalement et d’après la grammaire française, le verbe est suivi par un complément indirect introduit par les prépositions à, par, pour. On dit alors « voter pour » Didier ou, ce qui est possible encore, « voter contre » Didier. Mais pas vraiment au Congo, en République « démocratique ». Rassurez-vous, ce n’est pas la faute de Joseph Kabila.

On peut voter quelque chose : une loi par exemple ; le verbe devenant ainsi transitif direct. Mais, même si ce cas ne nous intéresse pas ici, notons que la grammaire électorale africaine, congolaise précisément, a fait du verbe voter un « transitif » direct en parlant des compétitions électorales. Ce qui est une faute, du moins en grammaire française universelle. Hélas, comme vous le savez, l’universel énerve souvent en temps électoral. On adore le particulier, le sectaire…

Retenons que lorsqu’on dit « voter », c’est toujours voter « pour », en parlant des personnes en compétition électorale. Voter pour un projet convainquant, voter pour un candidat rassurant quant à ses idées, voter pour le changement, etc.

J’ignore cependant si le Brazzavillois Sony Labou Tansi l’aurait supporté comme tropicalisation du français. Voter, en effet, s’est acclimaté à des environnements naguère favorables à l’anti-démocratie entre les tropiques africains. Une grammaire non encore suffisamment enseignée, et pourtant plus courante, qui fait de « voter », au sens de compétition électorale, un transitif direct. « Votez Kabila », « Votez Sassou », « Votez Biya ».

« Toko voter kaka yo »

Inutile d’ailleurs dans les votes africains, au Congo notamment, d’être grammaticalement correct à la française. On raconte que d’éminents intellectuels n’ont pas su se faire élire, pour ne pas avoir compris le « glissement » du verbe. Voter est devenu simplement « voter », comme voter une loi. Je vote Adrien Trocmé, je ne vote pas Guy Muyembe, par exemple. La nuance est très grande, et la voici donc.

« Voter pour », comme indiqué plus haut, veut dire simplement qu’on s’intéresse à un projet, à une idée… Sans doute, on prend le risque d’être mené en bateau. On appelle cela démagogie, pour ne pas être désagréable avec les politiciens pourtant manifestement menteurs. Et on sait d’ailleurs leur trouver de belles théories : la politique serait l’art de dire ce qu’on ne fait pas et de faire ce qu’on ne dit pas. Sacrée démocratie !

L’autre signification de ce glissement du sens de « voter », en pensant toujours à une compétition électorale à la congolaise, c’est qu’on voit avant tout l’individu, le candidat. Qui est-il ? Fils de qui ? Originaire d’où ? Sommes-nous en conflit ou non avec ses origines ? Que me donne-t-il ? Que puis-je espérer de lui en échange de mon vote ? C’est seulement à la suite de cette kyrielle d’interrogations que l’on se résout à « voter » Adrien Trocmé ou Guy Muyembe. En lingala c’est plus explicite : « toko voter kaka yo », pour dire « nous ne voterons que toi ! »

Voter pour le changement, la RDC en a besoin

Les conséquences, vous les voyez ? Sûrement, je peux en dégager au moins trois. Elles sont si évidentes ! D’abord, le vote devient une affaire d’origines, de tribus. Le blogueur Jean-Chrysostome l’a si bien dit dans un de ses billets en parlant de « tribalisme électoral », quand des gaillards qui ont passé 20 ans à Kinshasa ou à Lubumbashi, courent dans leurs villages d’origine s’y faire élire. Ensuite, à la suite des votes ainsi tribalisés, les rivalités ethniques s’invitent aux élections. Enfin, on peut acheter des scrutins.

Tout cela est vrai et existe en RDC. Pauvre Congo ! Il est vrai que pour être élu aujourd’hui, fait remarquer le professeur Déogracias Yolola de l’Université de Lubumbashi, il faut comprendre les deux sens du verbe voter. Cela a manqué à plusieurs intellectuels, restés dans le « voter pour ». Comme si le Congo n’avait pas besoin de projet, on vote des gens qui souvent passent leur temps à récupérer ce qu’ils ont dépensé. Nous avons besoin d’élus qui aident à changer les choses. C’est ça « voter pour » le changement.

 


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