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Beni, les massacres créent des villages fantômes

A plus de 350 kilomètres de Goma, se trouve la région de Beni, régulièrement victime de la rébellion des ADF. Visiter ces villages où ont eu lieu des massacres permet d’appréhender la vie des rescapés. 

Sur une distance de 55 kilomètres, entre la ville de Beni à la cité d’Eringeti, des centaines de maisons, d’écoles, d’églises, et de champs ont été abandonnés par les habitants de la région. A Kokola (à près de 15 kilomètres d’Oïcha, chef-lieu du territoire de Beni), on s’arrête pour prendre en photo une voiture prise dans une embuscade il y a une semaine. Un militaire de l’armée congolaise nous approche. Il nous explique ses craintes pour notre sécurité. « Ici nous sommes dans le triangle de la mort. Vous ne devriez pas vous arrêter par là, car c’est trop dangereux. Les rebelles attaquent à n’importe quel moment », nous avertit-il. 

« Depuis le début des massacres, la vie s’est arrêtée dans cette partie de la République démocratique du Congo. Les habitants, qui avaient pour principale activité l’agriculture, ne peuvent plus accéder à leurs champs », explique ce militaire sur le ton du désespoir avant de nous faire visiter les lieux à l’abandon depuis plusieurs mois. Les cours des maisons sont envahies par de longues herbes. Dans les champs, les mauvaises herbes ont englouti les cultures. Dans une des salles de classe d’une école abandonnée, j’aperçois par la fenêtre un tableau noir portant des inscriptions mathématiques. Sur ce tableau est indiqué la date du 15 juin 2015. Le militaire m’explique que depuis cette date, aucun élève ni enseignant n’est rentré dans cette école : « Bango nyoso bakima bitumba. Esika oyo etikala champ de tirs » [Tous ont fui la guerre. Cet endroit s’est transformé en champ de tirs.]

« N’allez pas au-delà d’un kilomètre. Les rebelles rôdent ici et là, recherchant des personnes à enlever pour gonfler leurs effectifs », nous prévient-il. Cette phrase me transporte dans la peau des habitants de ce village, qui préfèrent dormir par terre dans les salles de classe où ils ont trouvé refuge que de revenir dans ce mouroir.

Rwangoma : huit ménages

Rwangoma, ce quartier situé sur les hauteurs au sud de la ville de Beni a longtemps été connu comme étant « le quartier des ouvriers ». Depuis le 13 août dernier, cette partie périurbaine de Beni est devenue tristement célèbre. Ici, les rebelles y ont lâchement massacré 51 personnes à l’arme blanche. Les séquelles de cet événement sont encore visibles dans l’agglomération et le souvenir ne cesse de hanter les survivants. « Nous avons été obligé de quitter nos maisons. Nous avons peur de revenir ici car l’événement pourrait un jour se reproduire », raconte un habitant de Rwangoma revenu prendre les effets qu’il avait laissé lors de la débandade. « Actuellement je vis à Butembo [50 kilomètres de Beni]. Je reviendrai lorsque la paix sera totalement rétablie ici », explique-t-il.

Alors que nous parcourons le quartier, je compte du bout du doigt plusieurs dizaines d’habitations laissées à l’abandon. Le chef de l’une des cellules du quartier Rwangoma nous rejoint et nous fait faire le tour des ruines des maisons incendiées ce 13 août. Le nombre n’est pas insignifiant. « Avant le massacre, je venais de finir le recensement pour actualiser les statistiques du bureau de quartier. Dans ma cellule j’avais enregistré 1834 ménages. Actuellement seules huit de ces ménages vivent ici. Le reste a fui dont moi-même qui suit revenu hier », regrette cet administratif local.

Une économie en chute libre

« Tous ces villageois poussés à l’exode forcé ont pour point commun l’agriculture. Nous avons donc perdu outre les personnes tuées dans ces massacres, plusieurs milliers d’unités de production. Cela impacte négativement l’économie de la région », détaille Jean-Edmon Nyonyi Bwanakawa Masumbuko, maire de la ville de Beni en nous recevant dans son bureau. Selon le rapport de la ligue des organisations de femmes paysannes du Congo [LOFEPACO] intitulé, « les dégâts économiques des massacres répétés à Beni », rendu public le 15 septembre dernier, la région a perdu 1,03 milliard de dollars américains de récoltes durant les deux années d’instabilité créées par ces attaques de rebelles contre les civils.

Je n’arrive toujours pas à comprendre quelles motivations poussent des hommes à commettre des tueries aussi atroces comme les décrivent les différents témoignages des rescapés. Que ce soit pour une occupation du territoire, un contrôle des zones agro-pastorales ou tout autre objectif, cette horreur imposée aux populations congolaises innocentes ne saurait se justifier.

 

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