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Hakim Maludi : non au djihad en RDC

Journaliste et auteur du livre Allah, la patrie, les ancêtres, le Congolais Hakim Maludi revient sur l’héritage culturel et identitaire de l’islam en RDC. Dans cette deuxième partie, il parle de son média en ligne Dunia Kongo Media à travers lequel il mène son combat en faveur de la foi musulmane. Quoique musulman lui-même, Hakim Maludi s’oppose à toute idée de faire le djihad en RDC.

Habari RDC : Une vidéo publiée sur Internet mi-octobre appelle les musulmans du monde à joindre le djihad en Afrique centrale (RDC). Hakim Maludi vous êtes spécialiste de l’islam congolais, quel commentaire faites-vous après avoir visualisé cette vidéo ? 

Hakim Maludi : Cette vidéo, je ne sais pas quelles répercussions elle aura dans les cercles djihadistes internationaux, mais en RDC, ce genre d’appels laisse perplexe quant à sa nature même. On parle d’une vidéo non datée où un combattant étranger et arabophone dit se trouver quelque part en Afrique centrale… Je ne sais pas. J’ai du mal à comprendre cette nouveauté qui consiste à faire du Congo une terre de djihad.

Sur la vidéo, le combattant parle de la RDC, sous réserve que ça soit bien d’elle qu’il parle, comme d’une « terre d’islam ». Comment peut-on dire une bêtise pareille ? C’est un pays à plus de 80% chrétien, un pays régit par des codes traditionnels ancestraux, où l’islam est minoritaire et où les musulmans ne sont pas persécutés par le pouvoir. La RDC, n’est quand même pas la Centrafrique ni la Birmanie ! J’ai donc du mal à voir quel type de revendications pourrait avoir ce groupe Madinat Tawhid wal Muwahhidin, au Congo. Et puis comme par hasard, ce groupe serait localisé dans le Kivu. Certains ont parlé d’Eringeti (Nord-Kivu), d’autres d’Uvira (Sud-Kivu), mais c’est une nouvelle fois l’Est, instable, convoité et soumis au règne des groupes armés, qui est choisi pour refuge par ces « djihadistes ».

Vous êtes responsable du site web Dunia Kongo Media, unique média consacrant l’essentiel de son contenu à l’islam en RDC. Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontées dans votre mission ? 

Je suis responsable d’un média qui parle d’une communauté qui fait figure d’OVNI en RDC, donc ce n’est pas toujours évident d’attirer grand monde. Ce sont principalement les informations sur la situation sécuritaire à l’Est et la problématique des ADF qui intéressent les gens, même si je ne veux pas non plus en faire une sorte de fond de commerce. Ces problèmes là, moins j’ai à en parler, mieux je me porte, pour tout vous dire. Je connais la mentalité congolaise ainsi que les réticences au sujet de l’islam. Si je peux contribuer à décrisper un peu le regard sur les musulmans, j’en serais heureux. 

En dehors de cela, très franchement, je n’ai absolument aucune difficulté dans l’exercice de ma mission, Dieu merci. Le fait d’être en France m’évite sûrement beaucoup de tracas qui font, je le sais, partie du quotidien des journalistes congolais. J’ai déjà eu un de mes journalistes de Dunia Kongo Media à Kinshasa arrêté et retenu 24 heures par la police alors qu’il couvrait des manifestations fin 2016. C’est un pays où l’information libre est perçue comme une menace et où le métier même de journaliste est à hauts risques. Je vois qu’il y a de plus en plus de médias congolais, des pure players, des blogs, dont les rédactions survivent avec très peu de moyens, avec des journalistes très souvent non payés. Ce sont des gens à encourager et à soutenir, et à titre personnel je suis de tout cœur avec l’ensemble des médias libres et indépendants de la RDC. 

Quel héritage la RDC a-t-elle reçu de l’islamisation ? 

L’islamisation a été un bienfait culturel et identitaire immense pour le Congo. Le swahili est entré dans le pays avec les caravaniers zanzibarites pour devenir aujourd’hui une langue congolaise à part entière. C’est la trace la plus saillante de l’islamisation du pays. D’ailleurs, les premiers prêches, les premiers accès au Coran ont été permis grâce au swahili. C’est un héritage dont les descendants d’Arabo-Swahilis sont vraiment très fiers. Ma famille est de Kinshasa, je sais ce qu’on y dit sur les Baswahilis et je connais la manière de penser qu’ont certains sur les Baswahilis, ces « étrangers de l’intérieur » comme je le dis dans le livre. Il y a peu, dans une interview, le chanteur Fally Ipupa disait que tous les Congolais parlaient le lingala, bon… Cette manière de présenter la RDC comme totalement lingalophone peut nourrir un sentiment légitime d’exclusion pour les très nombreux Congolais qui parlent swahili. Et puis moi, un Mukongo de Kinshasa, comment serais-je perçu si je vous avoue que je trouve le swahili plus doux à l’oreille que le lingala ? (Rires) 

Si on vous demandait d’adresser un appel à la communauté congolaise et plus particulièrement à sa couche musulmane, quel serait votre message ? 

Lancer un appel ? Je ne suis pas très à l’aise avec ça, je ne suis ni un leader d’opinion, encore moins un leader politique, mais… Oui, ça me fait mal de voir l’état dans lequel se trouve le pays aujourd’hui. J’ai beaucoup souffert dans l’écriture de mon livre car j’ai parcouru les guerres, les massacres, les misères, les folies subies par nos frères et sœurs, par des gens qui sont parfois nos proches, nos amis, et on ne peut rester ni indifférents, ni insensibles face à tout cela. Au Congo, tout le monde est à bout, les gens les plus pacifiques adoptent eux aussi des discours de plus en plus radicaux. La question n’est même plus de savoir si ça va péter, mais quand est-ce que ça va péter. Maintenant, pour vous répondre, Dunia Kongo Media s’est toujours tenu du côté du peuple congolais. Je ne roule pour aucun parti, aucune personnalité politique, aucune institution, pas même la Comico. Je milite à ma manière pour la libération de ce peuple congolais qui a bien trop souffert.

Relire : Allah, la patrie, les ancêtres, le livre qui lève le voile sur la communauté musulmane de RDC

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