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Le tribalisme, c’est trop ridicule

Mon grand-père disait : « Le petit de l’antilope se couche autour d’une source tranquille. » Et il ajoutait : « Partout où il y a des humains, c’est chez toi. Celui qui t’accepte, considère-le comme ton frère. » En, fait, le vieil homme n’aimait pas le tribalisme. Et il m’a enseigné de suivre son exemple.

Depuis ce temps-là, j’ai quitté mon village, pour de longues années, pour de bon. J’ai dit au revoir à nos plantations, à ma tribu, avec ses us et coutumes que nous croyions tous immuables, éternels et les seuls qui valent.

Des élections sur fond de luttes tribales

Mon petit grand père s’est endormi pour l’éternité, il y a environ 20 ans. Ce Congo où il m’a envoyé trouver des frères et sœurs, – et j’en ai bien trouvé ! – est à un tournant majeur de son histoire depuis janvier 2019. Un opposant est désormais aux commandes du pays. Plus de 7 millions de compatriotes ont voté pour lui. Bien au-delà des terres de ses pères, comme moi.

Plutôt que de voir cela comme un succès de la cohésion nationale, pour le vivre-ensemble, certains compatriotes préfèrent regarder de quelle tribu vient le nouveau président, d’où viennent ceux qui vont gouverner avec lui. C’est cela le Congo.

D’où viens-tu donc ? La question est vieille et habituelle en RDC. Aujourd’hui, c’est une interrogation qui divise beaucoup. Elle renvoie les gens à leurs ethnies, à leurs tribus, au point que des compatriotes sont considérés comme des étrangers dans leur propre pays.

Stupidité, « tribalité »

Il faut bien constater que le tribalisme est stupide. Lors d’une discussion plutôt trop rangée entre jeunes Congolais dans un forum WhatsApp, un ami me fait parvenir un touchant message. Je le résume : certains Congolais s’imaginent plus importants ou même plus Congolais que d’autres. Ils s’arrogent le droit de décider de qui est Congolais et qui ne l’est pas, qui a le droit de diriger et qui ne l’a pas. J’ai vu se fondre dans la flamme tribale de belles intentions exprimées avant, et qui m’avaient fait croire qu’en certains compatriotes j’avais trouvé des frères et sœurs. Je me rappelle les propos de mon grand-père !

« Seuls les pygmées sont des autochtones. Tous les autres sont des immigrés », rappelle un journaliste. Et c’est un fait. Le plus stupide, c’est de constater que dans le Katanga, par exemple, les communautés du Sud-Est, les Sempya, acceptent des Bemba de la Zambie et des Malawites comme membres de la communauté. Mais parmi eux, certains s’en prennent aux Lunda et aux Sanga qu’ils ne prennent pas pour leurs frères, alors qu’ils habitent le même sol.

La médiocrité congolaise !

C’est anormal que les Sanga acceptent des Tanzaniens comme leurs frères, mais s’en prennent aux Lunda, ou aux Luba à Kolwezi. C’est stupide que les Lunda acceptent des Angolais et des Zambiens parmi leurs frères mais rejettent les Sanga, les Balubakat, les Baluba Lubilanshi, etc. Pareil pour les Congolais du Kongo central solidaires des Brazzavillois et des Gabonais, mais qui marginalisent les Katangais, les Kasaïens et les Kivutiens. C’est ridicule ! « De la stupidité et de la médiocrité congolaise », conclut mon ami journaliste. Et je suis d’accord avec lui. C’est stupide.

Mon petit grand père, tête chenue, était sagesse. Il n’aimait pas diviser les enfants d’un même pays. Malheureusement, on voit aujourd’hui les gens de son âge, nourrir des théories d’exclusion. Autant dire que la sagesse ne loge pas forcément dans les corps de tous les vieux.

De merveilleux Congolais aussi !

Je crois tout de même que mon grand père ne s’est pas trompé en disant  que partout je trouverais des frères et sœurs. J’en ai trouvé effectivement dans Habari RDC. Un exemple du vivre-ensemble entre une centaine de jeunes établis dans cinq provinces et plus de six villes différentes, œuvrant ensemble, dans l’acceptation mutuelle. Il avait donc raison, mon grand-père. Dans ma vie, j’ai aussi rencontré des enseignants merveilleux, de braves religieux, et d’intéressants amoureux des Congolais, sans regarder leurs origines tribales.

 

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Les commentaires récents (4)

  1. Cher Didier,

    merci pour ce bel article, vous êtes une inspiration de mœurs et un model (du moins en ce qui me concerne) d’écriture ; posée, pleine de grâce, et surtout passionnée, qu’est ce que je vous aime très cher !

  2. Le tribalisme ou l’ethnicité est un fléau qui ronge la société congolaise à tous les niveaux. En réalité, il s’agit des conflits d’ordre politique, économique, social et foncier. Faute de mécanismes de résolution de ces conflits, faute des règles de jeux politiques, économiques, bref faute d’un Etat moderne et démocratique, ces conflits s’expriment à travers les canaux dits « ethniques » ou «tribaux ». Pour comprendre le sens qu’on donne aux conflits ethniques, il convient d’abord d’éclairer l’opinion sur le concept « ethnie », pour bien cerner ou pour faciliter la compréhension de la genèse de l’ethnie au Congo, l’évolution de l’ethnicité dans des centres urbains et industriels, afin d’avancer certaines considérations liées aux voies de sorties.

    CONCEPT ETHNIE

    Ce concept « ethnie » date de la période où la civilisation grecque était à son apogée. A l’époque, les Grecs opposaient les ethnè (sing. ethnos) et la polis (cité). Les ethènes constituent les sociétés qui relevaient de leur culture mais auxquelles « manquait » l’organisation en Cité-Etats.

    Pendant longtemps, on n’a établi aucune distinction entre les populations européennes et les tribus du reste du monde, qui étaient désignées du terme de « nations ». C’est avec l’apparition de la nouvelle science anthropologique au XIX ème siècle dominée par les données essentielles d’un strict évolutionnisme d’inspiration darwinienne, hérité des siècles de Lumières, que le sens ancien du mot « ethnie » a été repris par les théoriciens modernes. En effet, le comte de Gobineau, dans l’Essai sur l’inégalité des races humaines publié en 1854, utilisa l’adjectif « ethnique » en référence uniquement à une problématique raciale. C’est Georges Vacher de Lapouge (Les sélections sociales, 1896), qui fut le premier à introduire la notion d’«ethnie » dans la langue française. A la place des termes tels que « race », « peuple », « nation » ou « nationalité », qu’il a jugé impropres, il leur substitue ceux d’«ethne » ou d’«ethnie », le premier vocable lui semblant plus correct et le second plus facile à prononcer. Le terme ethnie est souvent traduit par « tribu » ou par « Etat-tribal ». Les deux termes (ethnie et tribu) ont une signification en français apparemment voisine, mais le second a acquis dans la littérature anthropologue anglo-saxonne un sens particulier. La « tribu » désigne, chez les anthropologues anglo-saxons, un type d’organisation sociale propre : celui des sociétés segmentaires.

    Quant à la définition donnée par les anthropologues, on entend par ethnie ou tribu, un groupe humain ayant une langue, un espace, des coutumes, des valeurs, un nom, une même ascendance et la conscience qu’ont les acteurs sociaux d’appartenir à un même groupe. Cette définition est entachée, selon Jean-Loup Amselle, d’ethnocentrisme et est tributaire de la conception de l’Etat-nation telle qu’elle a pu être élaborée en Europe. Le dénominateur commun à cette définition générale de l’ethnie correspond, en définitive, à l’idée d’un Etat-nation à caractère territorial, d’un Etat au rabais. Distinguer en abaissant était bien la préoccupation de la pensée coloniale. De même qu’il était nécessaire de « trouver le chef », de même fallait-il trouver, au sein du magma des populations conquises, des entités spécifiques. Le concept d’ethnie avec ses ambiguïtés a été adopté par beaucoup d’ethnologues, qui étaient confortés en cela par la politique des administrateurs coloniaux en Afrique et Asie dont la préoccupation principale concernait l’identification des races.

    GENESE DES ETHNIES EN RDC

    Après la Conférence de Berlin de 1885 sur le partage de l’Afrique, les frontières ont été tracées sans tenir compte des réalités socio-politiques pré coloniales. Le Roi Léopold II reçut de grandes puissances le Congo où il construit pour la première fois un Etat : l’Etat Indépendant du Congo. Pour mettre son entreprise en valeur, le Roi organisa une administration dans le but de sédentariser les populations indigènes dans les frontières tracées à la conférence de Berlin. Ainsi, de 1891 à 1949, l’administration tenta de regrouper des populations congolaises en les désignant par des catégories communes afin de mieux les contrôler. Cette organisation administrative avait pour objectif de créer des entités homogènes. Ainsi, le nom de l’ethnie ou la tribu était inscrit sur les formulaires et les pièces d’identité.

    Ce phénomène prendra essentiellement trois formes : la création des ethnies, la transposition des noms utilisés avant la colonisation à des contextes nouveaux et la transformation d’unités politiques ou de toponymes pré-coloniaux en ethnies.

    En ce qui concerne la création des ethnies, on peut dire qu’il existe celles dont aucune source orale ou archéologique ne peut attester et, dans la plupart des cas, elles sont la création pure et simple de la colonisation. C’est le cas « bangala ». J. Tanche note que le terme « bangala » est donc une création européenne. Il est une transformation d’un seul terme existant : mongala. Celui-ci est le nom de plusieurs villages dans les contrées dites «bangala ». C. Young qualifie le bangala comme une ethnie artificielle. Un autre cas de création d’ethnie est celui remarqué dans le Maniema. Benoît Verhagen note qu’au Maniema, contrairement aux autres districts du Kivu, la chefferie n’est pas une entité politique traditionnelle à laquelle correspondait une conscience de solidarité ou d’identité politique : celle-ci ne dépasserait pas le clan ou le village. La plupart des chefferies ont été créées par le colonisateur. Ce sont ces chefferies qui ont été reprises par les ethnologues. Il en va de même de l’ethnie «lulua ». Mabika Kalanda a démontré que la dénomination lulua s’est généralisée après l’occupation coloniale et grace à elle. Ceux que l’on appelle lulua ne sont que la première vague des immigrants de l’ancien empire Luba du Katanga.

    A propos de la transposition des noms utilisés avant la colonisation à des contextes nouveaux, le professeur Ngoma a démontré comment certains noms ont été utilisés par les administrateurs coloniaux pour identifier certaines populations. C’est le cas de l’ethnie Manianga qui fut le nom du marché très connu et très ancien où se ravitaillaient Stanley et sa suite lors de leur séjour aux chute de Mpioka en 1881. Ce surnom donné alors aux habitants du pays demeura pour qualifier les anciens Nsudi. Il en va de même de Ndibu. Ce sobriquet date des années 1890, lors de la construction du chemin de fer du Bas-Congo Matadi-Léo. Il fut donné par les autres Kongo parce que les gens de cette région répètent souvent « ndibu, ndivu » pour dire n’est-ce pas ? ou c’est vrai ?

    Quant à la transformation d’unités politiques précoloniales en ethnies, il faut dire que la désintégration d’un royaume ou d’un empire, qui a eu un pouvoir centralisé, laisse généralement un grand nombre de petites unités politiques autonomes de fait. Parmi les ethnies inventoriées par Jan Vansina, dans l’introduction à l’ethnographie congolaise, on retrouve trois noms que portaient trois provinces de l’ancien empire Kongo. Ainsi, la province de Mbata a été identifiée à l’éthnie Mbata, la province de Mpangu à l’ethnie Mpangu ou Ntandu, province de Nsundi à l’éthnie Nsundi. Les populations de l’ancien empire Lunda en ethnie Lunda, royaume Kuba en ethnie Kuba.

    Cependant, les anciens colonisateurs n’étaient pas les seuls à créer les ethnies. Les congolais aussi sont devenus maitres en création des ethnies. C’est le cas de la division ethnique « mutombo » et « katawa » au Kasaï Occidental, lors du conflit opposant Guillaume Lubaya à Mukenge Barthélemy ; de « bena mutu wa mukuna » et « bena tshibanda » au Kasai Oriental lors de conflit politique opposant Ngalula Mpandagila à Albert Kalonji. Les deux couples étaient en compétition pour le contrôle politique de leurs provinces respectives.

    En somme, ces ethnies ou tribus crées par les colonisateurs, imitées par les élites congolaises, seront intériorisées par la population qui en fera un instrument idéologique de détermination sociale.

    ENJEUX DE L’ETHNICITE OU DU TRIBALISME

    La création des centres urbains, industriels et miniers avait suscité une nouvelle expression de l’ethnicité ou du tribalisme. En effet, dans les centres urbains, industriels et miniers, l’administration coloniale et les sociétés avaient regroupé les indigènes sur base ethnique. Ainsi, les associations tribales créées à cet effet, ont été autorisées à jouer le rôle d’intermédiaires. Ce nouveau rôle, confié aux associations tribales, va inaugurer une nouvelle forme d’expressions différente de celle qu’on peut trouver au village. Dans les villages , l’ethnicité suppose une participation à un système effectif et à la vie journalière avec les membres de l’ethnie, souligne C. Young. Cette participation permanente est basée sur les besoins sociaux présents et non sur un conservatisme pur et simple. Par contre, dans les centres urbains, une nouvelle forme d’ethnicité se développe : il ne s’agit pas d’un groupe structuré sur un canevas déterminé mais d’un réseau de solidarité à la limite ethnique. Les citadins révèlent leur origine par la langue qu’ils utilisent, la façon de vivre, ce qui leur permet de classer leurs voisins et connaissances dans des catégories qui déterminent la façon de se comporter les uns vis-à-vis des autres.

    Avec cette nouvelle forme d’ethnicité ou de tribalisme, plusieurs conflits vont éclater au sein des communautés indigènes vivant dans ces centres. Quatre causes peuvent être à la base de ces conflits. Il s’agit des frustrations psychologiques, de la modernisation de la vie, du processus politique et de la nature de l’Etat congolais colonial et post-colonial.

    En ce qui concerne les frustrations psycologiques, il faut souligner que, durant la colonisation, les administrateurs ont attribué des étiquettes de supériorité ou d’infériorité à certaines ethnies. Supérieures quand elles acceptaient facilement la pénétration et les idées européennes. Inférieures ou médiocres celles qui les rejetaient. Les ethnies qualifiées de supérieures traitaient les inférieures avec beaucoup de mépris. Ce sont ces quualificatifs qui ont été exploités dans les conflits opposant les Bakongo aux Bangala à Léopoldville, les Baluba aux Lulua à Luluabourg, les Mongo aux Ngombe à Coquilatheville, les Kasaiens aux Katangais au Katanga et les Tusti aux Hutus au Rwanda.

    Quant à la modernisation de la vie, il faut dire que l’accès aux avantages sociaux et économiques a suscité certains conflits entre les communautés. C’est le cas du conflit entre les Kasaiens et les Katangais au sein de la Gécamines.

    A propos du processus politique, il faut relever que celui-ci implique des conflits qui ont trait à la fois à des avantages matériels, à des positions sociales et à des principes moraux. Et l’évocation d’un ennemi menacant peut aider à s’assurer l’appui de ses cibles potentielles, note Murray Edelman. C’est dans ce contexte que les leaders congolais, qui nourissent quelques ambitions, politiques, découvrent que le moyen le plus rapide et le plus sûr de s’attirer des partisans consiste à tenir des discours tribalistes alarmants. C’étaient les cas aux élections communales en 1957 et provinciales ainsi que législatives en 1960. Et c’est sur base de l’appartenance ethnique que l’on demandait aux électeurs de se rallier au processus politique.

    Par ailleurs, la politique de découpage territorial et les déplacements des populations par l’administration coloniale a créé des conflits fonciers entre les transplantés et les premiers occupants. C’est le cas de Bena Shimba et Bena Kapuya au Kasai Oriental.

    En définitive, on peut être d’accord avec certains anthropologues (P. Mercier, M. Gluckman, Wallerstein, J. Lombard et R. Sklar) cités par Jean Loup Amselle, qui montrent que le tribalisme, dont on peut s’abreuver à satiété dans les médias lorsqu’ils traitent de l’Afrique, est toujours signe d’une autre chose, le masque de conflits d’ordre social, politique et économique.

    CONSIDERATIONS GENERALES

    De ce genèse aux enjeux du tribalisme au Congo, certaines observations peuvent être avancées. Contrairement aux idées reçues, la tribu ou l’ethnie n’est pas une entité politique stable et définie dans le temps. Selon Jan Vansina, les ethnies ou tribus naissent et meurent, et cela même sans déplacement des populations ni changements importants dans les cultures objectives des communautés qui les composent. Jean Francois Bayard remarque que l’ethnicité ou le tribalisme est un processus de structuration culturelle et identitaire plutôt qu’une structure donnée. Et le tribalisme ou le régionalisme n’est pas en soi une force politique et un canal par lesquels se réalise la compétition en vue de l’acquisition du pouvoir, de richesses et d’un statut. Par ailleurs, le tribalisme est le résultat de l’échec dans la construction de l’Etat. Au sein de l’Etat colonial construit par Léopold II et de l’Etat patrimonial construit par Mobutu, la majorité de la population a été exclue des affaires publiques. Dans ces conditions, l’individu choisit d’ignorer le pouvoir du prince et les institutions centrales pour s’investir au contraire dans sa propre communauté d’appartenance où il trouve sécurité et confort que l’Etat n’est pas capable de lui garantir.

    Vive la république démocratique du Congo