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Allah, la patrie, les ancêtres, le livre qui lève le voile sur la communauté musulmane de RDC

Hakim Maludi est un journaliste congolais vivant en France. Depuis quelques années, il a lancé un site internet, Dunia Kongo Media, spécialisé dans le traitement des sujets en lien avec la communauté islamique de la RDC. Ayant constaté que les médias et le grand public ne s’intéressent à la communauté musulmane congolaise que lorsqu’elle est associée soit à l’activisme du groupe rebelle ougandais ADF, soit à l’histoire de la traite négrière en RDC, Hakim Maludi a écrit un livre consacré intégralement à l’histoire de l’islam congolais. 

Dans cet entretien avec Habari RDC, Hakim Maludi revient sur l’essentiel du contenu de 364 pages de son livre Allah, la patrie, les ancêtres, tout en se focalisant sur l’histoire, l’héritage et la vie quotidienne de 10% de Congolais qui pratiquent l’islam comme religion en RDC. Ils sont souvent marginalisés à cause du manque d’informations sur eux dans le débat public. 

Habari RDC: L’histoire de la communauté musulmane en RDC reste méconnue du grand public. Comment avez-vous fait pour l’écrire en 364 pages dans votre livre Allah, la patrie  les ancêtres ? 

Hakim Maludi : L’histoire de la communauté musulmane de RDC est méconnue, c’est le moins que l’on puisse dire. C’est parce qu’on ne cherche pas à la connaître. Ce qu’on sait d’elle, c’est en général ce que les gens en disent, avec le lot de contre-vérités que cela implique. Pour ce livre, j’ai donc voulu donner la parole directement aux musulmans congolais, sans distinction sociale ni professionnelle, car ils sont les mieux placés pour parler de leur communauté. Des imams éminents de la communauté islamique du Congo (Comico), des étudiants, des activistes citoyens, des médecins, des théologiens prédicateurs… Il y a même un officier des Forces armées de la RDC qui livre un long témoignage. Tous ces personnages nous accompagnent à travers l’histoire de la présence musulmane au Congo, relatée de ses origines à notre époque actuelle. 

Selon les sources, la communauté islamique en RDC représente entre 10 et 12% de la population, qu’est-ce qui a influencé la non émergence de l’islam, alors que c’est l’une des premières religions à pénétrer en RDC ? 

La communauté islamique représente vraisemblablement 12 à 15% de la population congolaise aujourd’hui. On le voit à travers ce livre, mais aussi à travers les activités des prédicateurs sur le terrain, des villes jusqu’aux villages les plus reculés et difficiles d’accès. Les prédicateurs abattent un travail titanesque. Ils parcourent le pays, via leurs associations, pour prêcher l’islam ou organiser des débats publics et les gens se convertissent. 

Ce qui a empêché cette religion de connaître un essor plus flamboyant malgré son ancienneté sur le territoire congolais, ce sont les discriminations systématiques des colons belges, qui après avoir pris le dessus sur les musulmans, à l’issue des fameuses campagnes arabes, ont tout fait pour les mettre au ban de la société et donc à l’écart des institutions. Les Congolais musulmans n’avaient par exemple accès à l’école que s’ils reniaient leur foi en faveur du christianisme. Des mosquées ont été détruites pour être remplacées par des églises, des imams ont été déportés hors de leurs juridictions, etc. Du coup, depuis la fin du 19e siècle, on a une communauté à la traîne, qui n’a jamais su refaire son retard et qui est exposée à de graves difficultés financières. Aujourd’hui, ce sont d’autres problématiques qui pénalisent la communauté islamique, notamment les divisions internes qui la rongent depuis l’indépendance et face auxquelles aucune réponse efficace n’a jamais pu être apportée. 

Au fil de l’histoire de la RDC, l’islam a été associé à l’esclavagisme, à la rébellion ADF, etc. Aujourd’hui, quel est le plus grand défi que l’islam congolais doit relever ? 

Concernant l’esclavage, mon livre Allah, la patrie, les ancêtres y revient longuement, car on ne peut pas occulter ce phénomène qui a animé la vie commerciale de l’Est africain pendant des siècles. Par le commerce de matières premières et le trafic d’êtres humains, les Arabo-Swahilis ont investi le Congo et y ont implanté l’islam. Certains n’aiment pas regarder cette réalité en face, il y a un certain déni. Pendant la rédaction de ce livre, un imam de Kinshasa m’a même dit que les esclavagistes opéraient en Tanzanie, mais qu’ils s’étaient arrêtés au lac Tanganyika pour consacrer leurs seules activités commerciales au Congo. En gros, il me refaisait le coup du nuage radioactif de Tchernobyl qui s’était arrêté à la frontière franco-allemande. Je n’ai finalement pas mentionné ce témoignage dans le livre. 

Quant aux ADF, je crois que le chapitre « Batshindja » (égorgeurs en swahili) est le plus long du livre. On découvre que ce groupe présenté comme djihadiste n’a plus tout à fait la même forme qu’à ses débuts, et c’est aussi cela qui alimente le scepticisme à son sujet. Les ADF aujourd’hui, ou présumés-ADF, ce ne sont plus seulement des islamistes ougandais, mais il y a des Congolais d’obédience chrétienne. On a retrouvé des membres de l’ethnie Nande du Nord-Kivu, mais aussi des combattants « rwandophones » comme on les appelle. Il y a même une vielle femme ougandaise de 90 ans qui a été condamnée à mort par le tribunal militaire l’année dernière. C’est un groupe armé quasiment illisible au sein duquel des musulmans congolais, qui fréquentaient des mosquées du Nord-Kivu, ont été découverts. Cela a donc permis aux politiques d’impliquer toute la communauté musulmane nationale, qui s’est sentie ciblée et stigmatisée, alors que les imams participent depuis de nombreuses années au travail de sensibilisation contre l’enrôlement des groupes armés dans la province. 

En dehors de cela, je pense que le défi majeur des musulmans au Congo est d’œuvrer pour une réelle unité de la communauté, c’est la priorité absolue. À plusieurs endroits du territoire congolais, les musulmans sont minés par des dissensions politiques importantes avec des imams qui contestent l’autorité des instances dirigeantes de la Comico. Régler ce problème-là constituerait un premier pas important vers l’épanouissement de l’ensemble de la communauté. 

Il s’observe dans les pays en majorité musulmane différents courants idéologiques de l’islam (chiite, sunnite…) La RDC fait-elle aussi face à ce phénomène ? Et quelles sont les mesures prises par l’organe officiel de l’islam en RDC pour encadrer les différentes tendances ? 

Oui, j’en parle dans le livre, en revenant sur l’histoire de l’implantation de chaque courant dans le pays. Les premiers musulmans présents au Congo étaient des soufis qadiris. Ensuite il y a eu toute une série de tendances venues de l’étranger, que les immigrés ouest-africains, pakistanais, indiens et libanais ont amenées avec eux. Les chiites, la Jamaat Tabligh, les salafis, les Ahmadis, etc. Tous ces courants sont présents aujourd’hui en RDC.

La Communauté islamique en RDC est dirigée par des sunnites. Elle n’encadre pas les différents courants de manière spécifique mais elle agit pour l’ensemble des musulmans congolais, du moins elle essaie. Dans les projets mis en place pour l’intérêt de la communauté, il est fréquent que les chiites, plus fortunés, viennent en aide aux institutions officielles de l’islam au Congo. Par exemple, le fronton du siège de la Comico à Kinshasa, ce sont les Libanais chiites qui en ont fait les ornements. La différence de tendances n’est pas un problème en soi, on trouve bien plus souvent des soucis au sein des mêmes courants en réalité. 

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