Ce dimanche, je suis de passage devant la salle Concordia, l’une des grandes salles de l’archevêché de Bukavu. Je remarque une situation inhabituelle à l’esplanade : un groupe de jeunes étudiants venus de différentes écoles et universités, font des va-et-vient dans la salle. D’autres discutent à l’extérieur.
Curiosité journalistique oblige, je m’approche pour essayer de comprendre la situation. « C’est Corneille Nangaa, le Président de la commission électorale nationale indépendante, CENI, qui arrive ici dans quelques minutes. Et c’est lui que nous attendons pour qu’il nous explique l’évolution du processus électoral en RDC. Nous avons été invité par la commission diocésaine Justice et Paix, CDJP», m’explique Justine, étudiante finaliste du premier cycle de graduat en économie à l’Université Officielle de Bukavu, UOB. Son camarade Adolphe s’exclame : « Espérons qu’il va nous dire que bientôt la CENI va sortir un calendrier électoral qui respecte le délai constitutionnel, surtout pour les législatives nationales et la présidentielle. Nous, nous attendons d’être fixé par la CENI s’il y aura élection cette année, oui ou non ! »
Pendant que je discute avec d’autres étudiants sur les escaliers, un cortège de 4×4 klaxonnent. C’est l’homme du jour, Corneille Nangaa qui débarque, accompagné d’une importante délégation de la CENI. Il salue les différents délégués présents et rejoint la marée des étudiants bien rangés dans la salle.
Après l’hymne national et les quelques discours protocolaires, place à l’adresse du président national de la CENI, qui brosse la situation de son institution et les défis pour l’organisation des élections.
Le moment fort de cette rencontre, et qui interpelle les jeunes, c’est lorsqu’il déclare : « la CENI est butée à un problème technique qui doit être débattu après un consensus des acteurs politiques. C’est notamment le problème de la révision du fichier électoral, le financement du budget, et à cela s’ajoute les élections, qu’il faudra sécuriser ». Il lâche encore « c’est vraiment un problème sérieux devant nous, car l’enregistrement des nouveaux majeurs, l’omission des noms de ceux qui sot décédés, bref, la révision du fichier électoral prendra au moins quatorze mois, et cela, après un consensus des politiques, et c’est après que la CENI pourra se retrouver dans la capacité d’organiser les élections ».
Une situation électorale confuse
Après une trentaine de minutes, place au jeu des questions et réponses. Les jeunes veulent savoir si réellement il y aura élection, si le dialogue convoqué on ne sait quand, par le président Joseph Kabila n’occasionnera pas le glissement du calendrier électoral. Ils l’interrogent également sur le sort de ceux qui ont déposé leurs cautions pour les candidatures à la députation provinciale en 2015, élection qui n’a plus eu lieu et leur argent ne leur a pas été remboursé, etc.
Corneille Nangaa tente par tous les moyens de défendre sa position par des exemples pour convaincre cette jeunesse agitée de sa volonté de voir les élections se dérouler dans le délai constitutionnel. Enfin, il martèle : « 2016 c’est une année électorale, mais ce n’est pas évident qu’on organise les élections présidentielles dans le délai constitutionnel si on ne débloque pas la machine électorale. Moi je ne fais que vous alerter mais apparemment vous ne comprenez pas. »
Je remarque que la tension monte dans la salle, au fur et à mesure que le patron de la CENI s’exprime.
Marcus, un étudiant en économie à l’Université Catholique de Bukavu, perd patience et murmure qu’il n ’attend rien du dialogue. D’un coup, un autre étudiant énervé, s’écrie dans la salle « Waaaaapi ! Hatuone kitu ! », Traduisez « Désolé, on n’y voit rien ».
Mais un autre groupe d’étudiants tente de calmer la salle en invitant l’assistance à se rendre à l’extérieur du bâtiment pour une photo de famille avec Corneille Nangaa.
Débandade pour faire sortir le président de la CENI de la salle
Au moment où les étudiants commencent à sortir de la salle, une débandade se produit sous mes yeux. Un groupe de policiers vient de se précipiter dans la salle avec un important dispositif sécuritaire. Ils se dirigent vers le président de la CENI et le presse de sortir en toute urgence. « Il y a quoi ? Guerre ? Trouble ? Attentat ? Et pourquoi la police le fait sortir comme ça ? », se demande un jeune homme debout à mes côtés, et qui sort rapidement pour échapper à tout danger.
Je quitte la salle à mon tour dans une grande bousculade. Une fois à l’extérieur, j’aperçois de loin le cortège du président de la CENI qui s’en va à toute vitesse. Quatre étudiantes descendent l’escalier en affirmant : « Ils nous ont paniqué pour rien afin de ne pas continuer à répondre à nos questions ! C’est une fausse alerte ! » et la troisième d’ajouter : « Kwa iyi élection ; Miye sione kitu ata ! » Traduisez : « Pour cette élection, moi je n’y vois rien ! ». Un confrère d’un autre média qui a assisté à cette scène s’exclame aussi « On aura tout vu, et tout entendu dans ce pays ! Il ne faut pas mourir avant de voir le suite du feuilleton !»
Perplexe, je décide de rebrousser chemin et regagner ma rédaction où je relate ce à quoi j’ai assisté.