Aller en ville, courir vers ces lieux de rêves, dont nos frères et sœurs ne reviennent guère, c’est un rêve que caressent nombre de Congolais des milieux ruraux. La belle vie, les lieux de divertissement, ou toute bonne vie, c’est en ville. Et de nos villages, on s’imagine la ville pleine d’heur.
Même la moins coquine et la moins préparée des vies en villes où s’entassent des millions d’âmes désœuvrées, fait malgré tout prendre d’énormes risques. Après tout, qui ne risque rien, n’est-ce pas qu’il n’a rien ?
Horribles villages congolais
En revanche, tout le monde le sait, les citadins, devenus cultivés sinon civilisés au sens colonial du terme – quitte à souffrir l’insulte – ont horreur des villages. Presque personne n’en rêve ! L’image associée souvent au village est celle d’un milieu rustique, brute, un milieu inhumain et invivable. On l’imagine parfois plein d’esprits malicieux, et de pauvres types, plutôt que de gens pauvres comme c’est pourtant le lot de quelques 64% des Congolais.
C’est en raison de l’aménagement même du territoire congolais, que les citoyens ont cette vision horrible de leurs villages. Il n’y a pas souvent d’eau potable, pas d’électricité. Et les routes pour y arriver sont presqu’infernales.
Du coup, qui dit : « Je viens du village »,inspire pitié et surtout s’attire dédain et moquerie. Il doit tout apprendre des autres, entrer dans la civilisation, et comme on dit en religion, mourir et renaître, en ville. Sinon, il vivra en marge du comportement des citadins qui affectionnent des modèles « euro centrés » du bien-être et du développement socio-économique .
Ton regard détruit ton village, observe-le bien
Les conséquences d’une telle vision du Congo sont dramatiques. Qui se paie un lopin de terre en ville, à Lubumbashi ou à Kinshasa, court, vole… pour couvrir d’asphalte sa parcelle, et de pavés, afin de ne plus voir la terre et les herbes. On espère ainsi oublier tout ce qui peut rappeler son village. Son horrible village.
Ce village qui lui a fait tant de mal, qui lui a fait rater tant de bonheur uniquement possible en ville… D’ailleurs, on va parfois jusqu’à interdire à ses enfants d’apprendre la langue du village, puis, même les langues nationales au profit du français, de l’anglais…
Citadin veut dire « civilisé », villageois « arriéré » ?
Aussi, de nombreux Congolais finissent-ils par croire qu’ils valent mieux que les autres. Être Kinois fait tout à coup plus éclairé que n’importe quel autre Congolais des provinces. N’importe quel citadin de Lubumbashi, de Goma, Mbuji-Mayi ou Kisangani, est de fait plus éduqué que n’importe qui vivant ou venant du village. Les villageois eux-mêmes ne se valent pas. C’est selon qu’ils sont dans les chefs-lieux des territoires, des groupements ou dans de petites localités inexistantes même sur les cartes électorales.
Les Congolais d’abord, pour dire les citadins ?
Il y a des conséquences plus dramatiques encore, comme le fait que les discours et les actions politiques publiques sont conçus pour les villes. Rien d’anormal car beaucoup de nos dirigeants sont de ces Congolais qui ont horreur de leurs villages. Aussi, quand les gens disent Congo, ils voient les villes, et les villes centrales, principalement celles que je viens de citer ci-haut. Quand les gens disent Congolais, ils voient les citadins, et jamais les autres. Au final, on constate qu’il y a deux, trois, voire quatre Congo : certains avec leurs présidents, ministres et gouverneurs des provinces, tandis que les autres n’ont qu’eux-mêmes. Ni solidarité nationale, ni charité humaine, ni religion divine (oh, lourdeur !) ne viennent à leur secours.
Dans le prochain numéro de ce long plaidoyer que j’entame, je vous dirai comment j’ai vécu dans un village, parmi les plus oubliés des villages du Congo. Notez bien : il nous arrivait – et c’est encore le cas aujourd’hui – de manquer même une poignée de sel pour donner du goût à nos feuilles de manioc cuisinées parfois sans aucune goûte d’huile.
Merci pour cet article nous incitant à aimer nos villages et surtout y investir: en parvenant à rendre ces milieux vivables et prospères, les jeunes et femmes ruraux n’auront rien à envier à nos villes…