Quand Léopoldville est fondée, l’objectif était clair : offrir un espace de vie sain et agréable à la population européenne. Dès le départ, l’urbanisme était très sélectif. L’accès à la propriété dans les zones aménagées, destinées aux Européens, était interdit ou extrêmement restreint pour les Congolais. Les terrains alloués à ces derniers se situaient dans la périphérie, dans des cités dites « indigènes », mal équipées, avec des infrastructures rudimentaires, sans canalisations ni voirie moderne.
Même les Congolais instruits dits « évolués » et employés par l’administration, n’échappaient pas à ces restrictions. Pour circuler dans des communes comme Gombe (Kalina), il fallait être muni d’un laissez-passer. L’élite congolaise commença à exprimer son mécontentement face à ces inégalités, nourrira désormais un fort ressentiment anticolonial. Des chefs coutumiers ont ainsi bravé l’autorité coloniale en installant leurs communautés dans des zones interdites à l’habitat. C’est ainsi que les ressortissants Ne Kongo occupèrent Kimbanseke, les Bateke s’installèrent à Mombele, les Bayaka au Camp Luka, Selembao et Bumbu.
Tout a empiré après le départ du colonisateur
L’administration coloniale tentera de se rattraper en aménageant des cités plus modernes comme Bandalungwa, Matete ou Kalamu, mais la confiance ne régnait plus et ceux qui ne pouvaient s’offrir les moyens d’occuper les nouvelles cités construites pour les noirs, envahirent les zones interdites.
Après le départ des Belges, l’État congolais ne parvint pas à suivre la politique urbaine des cités planifiées. Très vite, Kinshasa s’étale vers l’Est et le Sud, envahit les collines, les plaines, les marécages. Des territoires entiers, qualifiés de zones non aedificandi, inconstructibles, sont pris d’assaut.
Les rivières N’djili, Mangu, Lukunga, Kalamu, jadis vitaux pour l’écosystème urbain, se rétrécissent sous les décombres des déchets ménagers et des constructions anarchiques. Les inondations deviennent normales. Le moindre orage provoque des drames.
Des constructions anarchiques
Des collines de Mont-Ngafula aux marais de Makala, Ngaba, Maluku, la ville n’arrête plus de grandir à son propre rythme. Les habitants construisent eux-mêmes, selon leurs besoins, leurs moyens ou leurs revendications identitaires. La logique tribale refait surface : les terres sont attribuées selon des règles coutumières, souvent au mépris des normes de sécurité ou de l’environnement.
Kinshasa n’est pas qu’une ville construite par l’État. Elle est, pour une grande part, une ville construite au détriment de l’État. Une urbanisation dictée par le peuple et par la puissance de l’argent et de la corruption. Derrière chaque quartier informel se cache une rivière asphyxiée, un sol instable, une population en danger et des drames que nous pourrions éviter, si seulement, l’ordre régnait.