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Qui pour juger Matata Ponyo ?

Le dossier Matata Ponyo poursuit sa navette inter-juridictionnelle. Il est renvoyé à la Cour constitutionnelle qui s’était déjà déclarée incompétente. De quoi faire réfléchir sur le vrai juge naturel d’un ancien Premier ministre en RDC.

Vendredi 22 juillet, la Cour de cassation a lancé sa petite bombe dans l’affaire opposant le ministère public à Augustin Matata Ponyo. En effet, cette cour a ordonné, dans un arrêt avant dire droit, la surséance du dossier en vue d’obtenir de la Cour constitutionnelle l’interprétation des dispositions des articles 163 et 164 de la Constitution. Ces deux dispositions désignent la Cour constitutionnelle comme la « juridiction pénale du chef de l’Etat et du Premier ministre pour des infractions politiques, de haute trahison, d’outrage au Parlement, d’atteinte à l’honneur ou à la probité ainsi que pour les délits d’initié et pour les autres infractions de droit commun commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ».

En des termes clairs, la Cour de cassation veut connaitre la portée des tournures « dans l’exercice de leurs fonctions » et « à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ».

Pour maître Grâce Muwawa, avocat et assistant à la faculté de droit à l’Université de Kinshasa, la Cour de cassation risque de se faire ridiculiser à la Cour constitutionnelle, car n’ayant pas qualité, aux termes des articles 161 alinéa 1er de la Constitution et 54 de la loi organique de la Cour constitutionnelle, de saisir la Cour constitutionnelle en interprétation de la Constitution. Ce privilège est réservé au Président de la République, au gouvernement, aux présidents de deux Chambres du Parlement, à un dixième des membres de chacune des Chambres parlementaires, aux gouverneurs de province et aux présidents des assemblées provinciales.

De plus, fait remarquer cet homme de droit, l’interprétation de ces articles a déjà été faite dans l’arrêt RP001 qui concluait à l’incompétence de la Cour constitutionnelle. « La Cour considère que pendant la durée de ses fonctions, le Premier ministre ne peut voir sa responsabilité pénale engagée que devant la Cour constitutionnelle ; pour tous ses actes, y compris ceux accomplis en dehors de ses fonctions, il bénéficie d’un privilège de juridiction le mettant urgemment à l’abri puisque les particuliers ne peuvent saisir celle-ci. Ce privilège de juridiction prend cependant fin avec les fonctions de Premier ministre, lequel redevient à la fin de son mandat justiciable des tribunaux ordinaires », lit-on au 13è feuillet de cet arrêt.

L’Etat de droit assassiné ?

Poursuivi pour détournements des fonds destinés au projet Bukanga Lonzo, Matata Ponyo peine à prouver son innocence non par manque d’arguments, mais de juge. Personne ne semble vouloir juger l’ex-Premier ministre. Pourtant l’article 19 de la Constitution dispose dans ses deux premiers alinéas : « Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent. »

Qui est juge compétent pour le dossier Matata ? Personne ne sait l’affirmer plus d’une année après l’ouverture du dossier. Une véritable entorse à l’Etat de droit voulu par le président Tshisekedi.

Assommé par les péripéties du procès 100 jours qui a vu Kamerhe passer d’une condamnation de 20 ans à un acquittement 2 ans plus tard, l’Etat de droit a été peut-être définitivement assassiné par le dossier Matata. La nuit du vendredi 22 juillet, un autre arrêt polémique a été publié par la Cour constitutionnelle saisie par la Céni portant requête en inconstitutionnalité des arrêts rendus par le Conseil d’Etat siégeant en matière électorale. Pour plusieurs praticiens du droit, cet arrêt de la Cour constitutionnel est pris en violation de l’article 43 de la loi qui la régit et qui délimite les dossiers à connaitre en constitutionnalité : les traités et accords internationaux, les lois, les actes ayant force de loi, les édits, les règlements intérieurs des Chambres parlementaires, du Congrès et des institutions d’appui à la démocratie ainsi que les actes règlementaires des autorités administratives.

Qui a donc conféré à la Cour constitutionnelle le pouvoir de casser les arrêts d’autres hautes cours du pays ? La question reste pendante et l’Etat de droit en pâtit.

 

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