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Les Pygmées, un peuple marginalisé

Huit personnes sont mortes et une dizaine ont été blessées lors de nouveaux affrontements qui sont survenus mercredi soir et jeudi dernier à Nyunzu dans la nouvelle province du Tanganyika a indiqué à la presse ce vendredi Ngoy Kitangala, gouverneur de cette nouvelle province issue du démembrement de l’ancienne province du Katanga.

Les personnes tuées, pour la plupart à l’arme blanche (flèche), sont de l’ethnie Luba (Bantou) et la majorité des blessés appartenaient à la tribu Twa (Pygmée), a poursuivi la même source. Alors qu’une d’accalmie s’était observée entre les Bantous et Pygmées depuis plus de 4 mois grâce à des tentatives de médiation menées par la Mission de l’ONU pour la stabilisation de la RDC [Monusco], l’escalade de la violence ces derniers jours serait due au discours d’un élu local qui aurait appelé « chaque ethnie à se prendre en charge » selon Jackson Basikania, coordinateur Programme d’appui aux Pygmées, PAP-RDC, une ONG basée au Nord-Kivu.

Une minorité marginalisée au fil de siècles

Estimés à près de 600 000 personnes selon les statistiques publiées fin 2015 par la Dynamique des groupes des peuples autochtones, les Pygmées de la République Démocratique du Congo sont subdivisés en deux sous-groupes. Les Mbuti, occupant les provinces du Nord-Kivu, la Province Orientale, le Bandundu et l’Équateur alors que les Twa vivent au Katanga et en province du Sud-Kivu. La peau jaunâtre et de petite taille, ce peuple vit de la pêche, de la cueillette et du ramassage des fruits. Ils occupent essentiellement des villages nomades dans la forêt tropicale. Ce peuple figure parmi les groupes tribaux minoritaires dans ce pays qui compte plus de 250 ethnies. Des spécialistes de l’environnement qualifient les Pygmées de précurseurs dans la conservation de la nature. Les Pygmées ont su maintenir un équilibre entre leurs besoins vitaux et la sauvegarde de la faune et de la flore. Leur environnement est aujourd’hui menacé par les industriels (miniers, agricoles). L’histoire de la République Démocratique du Congo indique que ce peuple fut le premier à occuper le territoire congolais. Les Pygmées se seraient petit à petit repliés dans la forêt suite aux migrations des peuples Bantous, Soudanais et Nilotiques. Le peuple Pygmée a vécu pendant plusieurs décennies à l’écart des autres communautés, ce qui justifie son retard dans la globalisation. Ceci fut à la base de la stigmatisation des Pygmées qui sont encore considérés comme un peuple inférieur. Actuellement à la recherche de leur émancipation, ils se heurtent à plusieurs obstacles. Seulement quelques membres de leur communauté ont fréquenté l’école. Des spécialistes précisent que moins de 5% de membres de la communauté Pygmée savent lire et écrire. C’est de cette tendance que sont nées depuis les années 2000 des organisations de défense et de promotion du peuple Pygmée, qui accompagnent ce peuple dans la recherche de sa dignité.

Des Congolais aussi racistes que les colons ?

Considérés comme des vassaux par plusieurs Bantous, les Pygmées sont victimes de plusieurs stéréotypes, les présentant comme dotés d’effets mystiques. Entre 2002 et 2003, des miliciens membres du Mouvement pour la Libération du Congo [rébellion dirigée par l’ancien vice-président de la RDC Jean-Pierre Bemba Gombo, aujourd’hui en détention à la Cour Pénale Internationale] avaient été accusés de cannibalisme (anthropophagie) contre des membres de la tribu Pygmée en territoire de Mambasa dans l’ex-province Orientale. Les rebelles espéraient une invulnérabilité aux balles après avoir consommé de la chair humaine. « Un rapport d’ONG avait déploré cette pratique, mais à l’époque les membres de la communauté Pygmée n’avaient pas initié de plainte par manque de  leaders communautaires » regrette Basikania.

Au Katanga, ce sont des militaires d’une unité de l’armée congolaise qui avaient violé des femmes Pygmées en 2009 espérant également pouvoir acquérir une invulnérabilité face aux balles lors des combats. « D’autres croyances mystiques laissent croire que l’acte sexuel avec une vierge Pygmée guérit du virus du HIV Sida et des maladies sexuellement transmissibles » note un document de la Dynamique des groupes des peuples autochtones.

Malgré le travail des ONGs dans la lutte pour l’intégration des populations Pygmées au sein de la société, les résultats ne sont pas encore perceptibles. Ces cinq dernières années, il a été récurent d’assister à un mariage entre un noir et un blanc dans la région, mais jamais à un mariage entre un Bantou et un Pygmée.

Escalade de conflits et impuissance de l’appareil judiciaire

Alors que des conflits fonciers entre les Pygmées et les autres communautés finissaient souvent par des arrangements (les autochtones cédaient leurs terres aux Bantous par des conventions ou par des compensations en nature), à la fin de l’année 2013, ces conflits entre diverses familles au Nord de la province du Katanga , ont donné lieu à des affrontements entre les membres de ces deux communautés ethniques. Les affrontements se soldaient par l’incendie des villages, des pillages et des meurtres.

Selon une note  de la coordination des Affaires humanitaires du système de l’ONU en RDC (OCHA) datant de mai 2016, entre 2013 et 2016, les conflits entre Pygmées et Bantous au nord de la province du Katanga ont occasionné la mort d’une centaine d’individus, et le déplacement de plus de 80 000 personnes.

Au début de l’année 2016, la justice congolaise avait ouvert un procès contre 32 membres de communautés Pygmées et Bantous pour génocide et crimes contre l’humanité, mais jusqu’à présent aucun jugement n’a été rendu, la juridiction reportant à plusieurs reprises les audiences suite à l’absence des accusés et de non-conformité des procédures.

 

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