La marche de Lucha n’avait pas même commencé ce lundi que des policiers ont ramassé les quelques manifestants qui étaient dans la rue. J’ai été compté parmi les manifestants, alors que je me trouvais simplement là par hasard. Je n’oublierai jamais cette mésaventure.
À Butembo, tout le monde sait que je ne suis pas militant du mouvement Lutte pour le changement (Lucha). Je suis journaliste, et ce lundi matin 31 juillet, je me rendais sur mon lieu de travail. Sur l’avenue Walikale se trouve mon bureau. Non loin de là, il y a également le bureau de la Commission électorale nationale indépendante, antenne de Butembo. Les militants de la Lucha Butembo s’étaient donné rendez-vous devant les locaux de la Ceni pour un sit-in afin d’exiger la publication du calendrier électoral.
Soudain, je vois une colonne de véhicules de la police arriver à vive allure. Ils ont pour mission de disperser tout attroupement. La dizaine de militants de Lucha qui était sur place est vite embarquée dans les véhicules. Neuf hommes et une fille. Des étudiants pour la plupart, excédés par le recul de la démocratie dans le pays.
Mauvais endroit au mauvais moment
Vers neuf heures, mon téléphone vibre. Je le prends pour voir si c’est un appel entrant… À ce moment-là, un policier me regarde et voit le téléphone. « Pesa téléphone wana (donnes-moi ce téléphone) », exige-t-il. Ce policier pensait que j’étais un militant de Lucha et que j’étais là pour filmer ce qu’il se passait afin de le diffuser sur Internet. Mais je n’étais pas là pour couvrir la manifestation de Lucha. Je devais plutôt me rendre à une activité qui traitait des changements climatiques. C’était l’unique rendez-vous sur mon agenda.
J’ai vite remarqué que l’avenue était quadrillée par une cinquantaine de policiers, armes au poing. Ils voulaient alors ravir mon téléphone. J’ai protesté énergiquement, mais ils l’ont pris quand-même. Plus tard, un ami me dira : « Mon voisin est un policier. Il m’a dit que la marche de Lucha ce lundi est une occasion de se taper un smartphone. »
Bientôt, une meute de policiers, environ dix, se ruent sur moi. Ils me rouent de coups et m’amènent manu militari. « Embarquez-le ! Emmenons-le ! », criaient-ils. Tel un vulgaire bandit, j’ai été jeté dans leur jeep. Il y avait dedans dix militants de Lucha. Entassés comme dans une boîte de conserve. Mais quel checking c’était ! Argent, téléphone, bref tout ce que les policiers pouvaient trouver dans les poches de mon pantalon, ils l’ont pris. Tel un butin.
« Libérez le journaliste »
Un confrère journaliste, venu couvrir la manifestation, est allé plaider mon cas auprès du commandant de la police de la ville de Butembo. Son intercession en ma faveur est exaucée. « Libérez le journaliste », ordonne le colonel Richard Mbambi. « Et mon téléphone et mon argent ? », ai-je demandé. Pas de réponse.
Le policier qui m’a dépouillé de mon téléphone travaille pour l’agence nationale des renseignements (ANR). Je suis étonné de voir que des policiers de l’ANR soient présents. Mais le chargé des opérations de l’ANR Butembo me dit : « Mon cher ami, il ne faut pas nager dans les eaux où il y a des crocodiles ! »
Un colonel de police se félicite du travail de ses hommes
Jusqu’à présent, je n’ai toujours pas récupéré mon téléphone. Deux militants de Lucha ont également été dépouillés des leurs dans ces incidents. Dans l’après-midi, le commandant de la police Richard Mbambi, s’exprime devant des journalistes : « Mes policiers ont fait du bon boulot aujourd’hui. Ils se sont bien occupés des insurgés. » Insurgés ! Le mot m’énerve.
J’ai posé une question : « Colonel, vous dites que ces jeunes de Lucha sont des insurgés et que c’est un mouvement non reconnu, comment expliquer que le chef de l’Etat Joseph Kabila les a reçus récemment à Goma ? » Réponse du colonel : « Je ne suis pas politicien. Butembo est une ville commerciale, elle a besoin de paix. »
Ce colonel a raison, la ville a besoin de paix bien sûr, mais aussi de démocratie.