Je me plaignais souvent de l’incroyable absence de respect du temps qui nous caractérise, nous Congolais. Une amie internaute belge, née en RDC où elle a passé une partie de son enfance avant d’aller s’installer Outremer, a vraiment souffert de ces retards congolais et en garde un mauvais souvenir.
Il semble que le non respect de l’heure et de la parole donnée soit définitivement ancré dans les mœurs congolaises. Les Congolais promettent beaucoup mais réalisent rarement. Quant au respect de l’heure, c’est la moindre de leurs préoccupations. Raison pour laquelle même quand ils sont au pouvoir, ils ne respectent jamais le temps imparti.
Voici ce que m’a dit mon amie belge à propos du non respect de l’heure par les Africains : « Je confirme, via mes amitiés congolaises et surtout via mon passé d’enseignante. À ceci près, que cette caractéristique est plus « africaine » que « congolaise », pour ce que j’ai pu constater. Combien de mes étudiants originaires de nombreux pays d’Afrique noire se sont trouvés chez moi en situation d’échec pour la simple raison qu’ils arrivaient en retard à un examen oral ! « Je n’ai que 20 minutes de retard, Madame ! « , me disait un étudiant. L’ennui, c’est que ces 20 minutes-là étaient celles de l’étudiant suivant, et ainsi de suite… »
« Le temps coule autrement au Sud du Sahara »
On pourrait bien en rougir. Mais c’est avec raison, n’est-ce pas ? L’amie belge poursuit son témoignage. « Un jour, l’un d’entre eux est arrivé avec près d’une heure de retard, au motif qu’il participait à une manifestation dans les rues de Bruxelles. Mon fou rire ne m’a pas empêchée de le refouler en deuxième session, malheureusement pour lui. »
Cette amie trouve que « le temps coule autrement au Sud du Sahara ». Et c’est avec raison, j’ose croire. Les premiers officiellement en retard sont les autorités politiques et administratives. Quel que soit leur rang, les « chefs » donnent l’impression d’être importants seulement quand ils arrivent les derniers à des rendez-vous où ils sont attendus. On pourrait même dire, en règle générale : « Je te fais attendre pour bien te montrer ma supériorité. » Ces ridicules retards qui font des rois, des roitelets en réalité, semblent totalement ignorer que « l’exactitude est la politesse des rois ».
Le temps attend les Congolais et d’autres Africains
En dehors de ces quelques anecdotes, qui pourraient prêter à rire, cette curieuse et particulière culture du temps perdu n’est-elle pas un problème à prendre avec le plus grand sérieux ? N’est-elle pas un véritable frein au développement de certains pays d’Afrique noire, où l’on semble ignorer que « time is money ? » (le temps c’est de l’argent).
Même pour organiser les élections, on croit toujours qu’on a tout le temps… Et l’on est souvent rattrapé par le temps ! Les gens sont morts en RDC, parce que les élections n’ont pas été organisées comme prévu. D’autres mourront peut-être au cours du dernier trimestre de 2017 qui s’annonce dangereux alors que les élections attendues risquent d’arriver en retard, comme les chefs importants de la RDC d’ailleurs à des rendez-vous. On pourrait même dire : je vais retarder les élections pour te dire que je suis important. Ou encore, je vais t’amener aux élections malgré ta résistance…
Au moment où la Gécamines était encore une grande société, lorsque l’on arrivait avec 5 minutes de retard, on courait le risque de se faire renvoyer et d’être pointé absent pour la journée. Aujourd’hui, on voit des gens arriver en retard à l’aéroport et commencer à courir vers l’avion qui s’apprête à décoller ! Il est vrai que, dans un passé lointain, notre compagnie nationale, Air Zaïre, avait mérité le glorieux surnom d’« Air peut-être » ! Il n’était jamais sûr d’embarquer à temps et d’arriver à destination à l’heure indiquée sur son billet.
Beau texte. Il n’en reste pas moins que je le crois vraiment : le temps ne s’écoule pas de la même manière dans les régions du sud. Impolitesse, manque de respect de l’autre, méconnaissance des règles et des contraintes de la vie en société et de l’économie moderne ? Peut-être. Mais il y a là quelque chose de plus profond, que l’on pourrait qualifier de culturel sans doute.
Bien sûr, il est des règles à respecter et, depuis que l’homme a inventé toutes sortes de moyens de mesurer le temps, de la clepsydre et du sablier à l’horloge atomique, il a aussi découpé ses journées et sa vie même en fractions précises. Il y a l’âge où l’on est actif, puis l’âge de la retraite. Il y a la période des vacances, et celle des travaux scolaires. Il y a l’heure où l’on est attendu à l’école ou au bureau, et celle qui annonce la fin de la journée de travail ; il y a l’instant auquel décolle l’avion, et celui de l’arrivée du train. Même si, en Belgique (et ailleurs, sans nul doute), les trains sont toujours en retard… Un rendez-vous se respecte, ou se manque. On a même découvert que tout ce qui vit est soumis à une horloge interne, une horloge biologique… qui pourtant n’a pas grand-chose à voir avec la clepsydre ou le chronomètre.
Car le séquençage du temps en jours, en heures, en minutes, en secondes, pour utile qu’il soit à la vie en société, qu’a-t-il à voir avec l’essentiel de notre temps, c’est-à-dire avec notre existence ?
Rendez-vous, horaires, plannings, agendas… Tout cela est indispensable à nos sociétés contemporaines, certes. Et tout cela génère des obligations, et du stress.
Mais le temps qui coule comme l’eau et nous mène à la mort, celui si lent de la souffrance, de la douleur et de l’ennui, celui toujours trop court du plaisir et de bonheur, celui qui jamais ne s’immobilise quand notre vie pourtant s’arrête, celui que personne, jamais, nulle part, n’a pu comprendre ni expliquer, qu’a-t-il à voir avec tous ces repères que nous avons inventés ? Certes, il y a le jour et la nuit. Dans les pays du nord, leur durée varie selon les saisons. Il y a les saisons. Il y a les rides qui viennent, les cheveux qui blanchissent. Des enfants naissent, grandissent, deviennent des hommes. Un jour l’on est vivant, et puis on meurt… Les arbres poussent lentement, donnent des fruits et meurent eux aussi, même si leur vie est infiniment plus longue que celle des hommes ou celle des grenouilles.
Tout naît, tout vit, tout finit par mourir. C’est cela, le temps.
Ce mépris – ou cette méconnaissance – des impératifs de l’heure qui tourne à cette montre à notre poignet, ne sont-ils pas en réalité une forme de refus fondamental, essentiel, viscéral, de donner de l’importance à ce qui n’en a pas vraiment ? En quoi la sonnerie qui annonce le début des cours est-elle plus importante que cette sieste bienheureuse qui, entre veille et sommeil, me promène au pays des rêves ? Flâner sans contrainte et sans stress, jouir du soleil qui me caresse la peau ou de la conversation d’un ami au lieu de me hâter vers un rendez-vous professionnel, savourer et prolonger le plaisir fugitif d’un instant volé, et tant pis pour ce qui viendra après… N’est-ce pas là ce qui est vraiment important ? Et tant pis pour les conséquences sociales ou professionnelles. Car cet instant volé, ce sera peut-être le dernier, qui peut savoir ? Un instant d’éternité, en somme.
L’exemple de la lenteur et de la paresse ne nous est-il pas offert, d’ailleurs, par la nature qui toujours « prend son temps ». Inutile en effet de fixer aux fruits à venir un rendez-vous précis, d’imposer aux saisons un timing rigoureux ou d’expliquer à la vache ou la chèvre que le moment est venu pour elles d’enfin laisser sortir de leur ventre le veau ou le chevreau tant attendus. Inutile aussi de vouloir hâter ou retarder le moment où les pluies se mettront à tomber, celui où soufflera l’ouragan.
Les proverbes ne manquent pas pour illustrer cette sagesse ancestrale, celle du « laisser faire laisser couler ». Ni les aphorismes d’écrivains et penseurs de tout poil (et amusez-vous à retrouver les auteurs de ceux-ci si vous avez du temps à perdre…) : tout vient à point à qui sait attendre ; rien ne sert de courir ; il coule et nous passons ; le temps mûrit toute chose ; qui a le temps a la vie ; ô temps suspends ton vol ; il fuit le temps et sans retour ; le temps du monde fini commence ; il n’y a que le temps qui ne perde pas son temps ; le temps n’est temps que parce qu’il passe ; le temps est au début et à la fin de chaque vie humaine et chaque homme a son temps, son temps différent…
Alors, oui, mon cher Chryso : certes il serait bon que chacun, congolais ou non, apprenne à respecter un horaire, à regarder sa montre, à se souvenir qu’en effet « l’exactitude est la politesse des rois » et à ne pas faire « perdre son temps » à celui qui l’attend. Il n’en reste pas moins que le temps élastique des gens du sud, pour peu compatible qu’il soit avec la vie sociale, me paraît plus proche de l’essence même du vivant que celui des horloges, fussent-elles atomiques. A-t-on jamais vu un lézard se hâter vers un rendez-vous, quand il est si doux de prendre le soleil ? Et j’avoue qu’il m’arrive quelquefois de me rêver lézard, moi aussi…
Le changement est possible, il faut seulement de la volonte.
Merci pour ce billet M. TSHIBANDA qui nous conscientise à toujours mieux faire dans notre quotidien et à nous améliorer dans le respect de l’heure et des engagements pour être des modèles…