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La taxation illégale des coopératives minières à Kolwezi : un frein au développement durable

Au cœur de la province du Lualaba, Kolwezi est une ville minière emblématique de la République démocratique du Congo. Connue pour ses riches gisements de cobalt, cette région est également le théâtre de pratiques fiscales controversées qui entravent le développement durable et équitable des communautés locales.

L’exploitation artisanale du cobalt est une activité économique cruciale pour de nombreuses familles à Kolwezi. Les coopératives minières, souvent composées de petits exploitants, jouent un rôle central dans cette chaîne d’approvisionnement. Cependant, ces coopératives sont fréquemment confrontées à des défis majeurs, notamment la taxation illégale par des services non autorisés.

Les coopératives minières, qui font déjà face à des problèmes de rentabilité, voient leurs profits réduits par ces prélèvements illégaux. Les fonds qui pourraient être réinvestis dans l’amélioration des opérations ou dans le bien-être des travailleurs sont détournés, ce qui freine la croissance économique des coopératives.

La pression fiscale exercée par la taxation illégale empêche les coopératives d’investir dans des équipements de sécurité, essentiels pour protéger les travailleurs. En plus, les investissements dans des technologies et des pratiques respectueuses de l’environnement sont souvent sacrifiés, ce qui peut entraîner des pratiques minières non durables et des dommages environnementaux à long terme.

La problématique de la taxation illégale

Les taxes et redevances imposées de manière informelle constituent un obstacle significatif pour les coopératives minières. Selon un rapport récent, les coopératives doivent parfois s’acquitter de plus de 10.500 $ US de taxes et redevances informelles. Ces paiements, souvent exigés par des agents corrompus, ne figurent dans aucun texte de loi et alimentent un système de corruption profondément enraciné.

La taxation illégale des coopératives minières est une réalité quotidienne qui affecte profondément les exploitants artisanaux. Pour illustrer cette problématique, nous avons recueilli les témoignages de quelques membres de coopératives minières locales, qui partagent leurs expériences et les défis auxquels ils sont confrontés.

Exploitant minier artisanal à Kolwezi, Martin (qui a préféré requérir l’anonymat) décrit la pression constante exercée par les agents corrompus et non attitrés. « Chaque mois, nous devons payer des taxes qui ne sont pas légales. Ces agents viennent avec des menaces, et nous n’avons pas le choix que de payer. Cela affecte gravement notre capacité à investir dans des équipements de sécurité et à améliorer nos conditions de travail », explique-t-il.

Martin souligne que ces prélèvements illégaux réduisent considérablement les marges bénéficiaires de sa coopérative, rendant difficile toute tentative de développement durable. « Nous voulons travailler de manière légale et durable, mais ces taxes illégales nous en empêchent », déplore-t-il.

 

Source : Photo prise par Martin lors d’un atelier organisé par Impact à Kolwezi, 10 juillet 2024.

Marie (nom d’emprunt), membre d’une coopérative minière, partage une expérience similaire. « Nous travaillons dur pour extraire le cobalt, mais les taxes illégales nous laissent peu de marge pour améliorer nos vies. Nous sommes constamment sous pression, et cela crée un climat d’insécurité », dit-elle.

Aux dires de Marie, les fonds extorqués par ces taxes informelles ne sont jamais réinvestis dans les infrastructures locales ou les services publics. Ce qui exacerbe les inégalités et la pauvreté dans les communautés minières. « Nous avons, dit-elle, besoin de soutien pour résister à ces pratiques et pour développer nos activités de manière durable ».

Cette taxation illégale a, bien entendu, des répercussions graves sur les coopératives minières. Elle réduit leur rentabilité, limite leur capacité à investir dans des équipements de sécurité et de protection de l’environnement, mais aussi compromet leur accès aux marchés internationaux. En outre, elle décourage les initiatives visant à formaliser et à réguler le secteur de l’exploitation artisanale du cobalt.

Difficultés de réinvestir dans les infrastructures locales

À Kolwezi, la taxation illégale des coopératives minières ne se limite pas seulement à des prélèvements informels. Les taxes spécifiques, telles que les taxes de pont bascule et de péage pour les minerais d’origine artisanale, sont également détournées, privant ainsi la région de fonds nécessaires pour le développement des infrastructures locales et des services publics.

« Des milliards de francs congolais, perçus illicitement pour les taxes de pont bascule et de péage pour les minerais d’origine artisanale, ont été détournés par des particuliers (Gouvernorat) en province, au détriment du Trésor public au cours des années 2021 et 2022 », renseigne le rapport de l’organisation de la société civile Casmia, publié le 06 septembre 2023

D’après ce rapport, « les minerais du secteur artisanal de la province du Lualaba ne profitent pas à la population, moins encore aux exploitants miniers artisanaux, regroupés au sein des coopératives, comme cela devait être. Seule une poignée d’hommes forts en jouissent en toute aisance, sous la puissance de l’impunité et de la complicité ».

En état piteux, les infrastructures routières ne contribuent pas seulement à la dévalorisation des ressources locales, essentielles pour la transition énergétique mondiale, mais elles aggravent également la dégradation de l’environnement. Les routes impraticables augmentent les coûts de transport et les risques d’accidents, tout en limitant l’accès aux marchés internationaux.

En plus, l’absence de routes adéquates entraîne une exploitation minière non durable, car les coopératives sont contraintes de recourir à des méthodes de transport improvisées qui endommagent davantage l’écosystème local.

Au poste de péage de Mutaka, on encaisse au quotidien 20.000.000 FC (vingt millions de francs congolais) en moyenne, équivalent à environ 1.715 dollars pour la catégorie de petits véhicules inadaptés au transport des minerais. Au lieu de décourager ces mauvaises pratiques, les agents commis au poste font payer ces petits véhicules et délivrent des documents de l’Etat, sans compter les centaines de gros camions, atteste le rapport cité ci-haut.

Voici comment sont répartis les taux à payer par catégorie de ces véhicules :

  • Moto : 5.000 FC/course
  • Carina : 50.000 FC/course
  • Noah : 150.000 FC/course
  • Hiace : 200.000 FC/course
  • Dyna : 280.000 FC/course.

Au regard de perceptions illégales des sommes de 20.000.000 FC qui ont échappé au Trésor public au cours des années 2021 et 2022 pour ce seul poste de péage de Mutaka, nous pouvons présumer que des dizaines de milliards de francs congolais ont été détournés au cours de ces deux années. Ces fonds colossaux n’ont pas profité à la province (Trésor public) du Lualaba, car empochés par les hommes forts du moment (destination privée), lit-on dans le rapport de Casmia.

« Nous payons des taxes de pont bascule et de péage chaque fois que nous transportons nos minerais. Ces taxes devraient théoriquement être utilisées pour améliorer les routes et les infrastructures locales, mais nous ne voyons jamais ces améliorations. Les routes restent en mauvais état et les services publics sont quasiment inexistants », tempête Martin, un exploitant minier artisanal.

Bien que légaux en apparence, ces prélèvements, sont souvent détournés par des agents corrompus, ce qui empêche tout réinvestissement bénéfique pour la communauté. Et les coopératives sont obligées de s’organiser pour l’entretien et le maintien des routes qui mènent vers leurs zones d’exploitation de mines.

Les efforts de lutte contre la corruption

Des initiatives sont en cours pour lutter contre cette corruption systémique. Par exemple, le projet « Combattre la corruption », lancé par Impact, en partenariat avec l’Initiative pour la transparence des industries extractives en RDC (ITIE-RDC), vise à rendre plus visibles les paiements informels et à aider la société civile à surveiller plus efficacement la corruption dans le secteur minier. Ce projet s’appuie sur la cartographie des paiements légaux et informels, fournissant ainsi un outil puissant pour les communautés locales.

Pour que le secteur de l’exploitation artisanale du cobalt puisse prospérer de manière durable, il est essentiel de renforcer la transparence et de lutter contre la corruption. Les efforts de réforme fiscale doivent être intensifiés, et les coopératives soutenues pour naviguer dans ce paysage complexe.

La collaboration entre le gouvernement congolais, les organisations internationales et la société civile est, à cet effet, cruciale pour créer un environnement propice à un approvisionnement responsable en cobalt.

 

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