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Faire du théâtre pour la paix dans les Grands Lacs

De nombreux conflits politiques frappent la région des Grands Lacs depuis des décennies, principalement la RDC, le Rwanda et le Burundi. Ce sont les populations de la région qui paient un lourd tribut.

À la mi-janvier, j’ai été invitée à participer à un projet de théâtre pour la paix dans la région des Grands Lacs, réunissant des acteurs congolais, burundais et rwandais. Pour moi, en tant que Congolaise venue de Kinshasa, je ne pensais pas que cela pouvait arriver. J’ai été agréablement surprise que des ressortissants de ces trois pays se mettent ensemble pour travailler sur un même projet. Avec eux nous avons formé une belle équipe pour dire que la paix est possible dans les Grands Lacs.

Do Nsoseme prend la parole dans la scène Je pensais que. © Céline Pagniez

Une Kinoise au Rwanda, ça se remarque très vite. Ça se sent par l’accent du français, de l’anglais. Et quand elle ne parle aucun mot de swahili, langue parlée dans l’est de la RDC, c’est tout le monde qui s’en étonne. Ils s’étonnent parce que les habitants de Kamembe, au Rwanda, où nous étions et ceux de Bujumbura, au Burundi, ont l’habitude de communiquer en swahili avec les Congolais venant de l’est de la RDC. Pourtant, à Kinshasa, la langue la plus parlée est le lingala, langue qu’ils n’écoutent que dans des chansons des grands musiciens comme Koffi Olomide, Fally Ipupa et d’autres.

Ma réponse les surprend encore plus quand je l’articule de la sorte : « Au Congo, nous avons plus de 450 dialectes en plus de quatre langues nationales, alors, on se calme. On peut ne pas parler une de ces langues et être une vraie Congolaise. » Certains ouvrent grandement leurs bouches, d’autres hochent leur tête pour exprimer leur étonnement. Eh oui, c’est cela le Congo.

(Les gens entrain de courir ouvrant leurs yeux) Les supers héros de la cohésion sociale dans la scène J’ai perdu mon esprit critique, lors des répétitions à Kamembe. ©Céline Pagniez.

Je suis un super héros de la cohésion sociale

Le projet de théâtre auquel j’ai participé s’appelle Les supers héros de la cohésion sociale, un projet de Théâtre et Réconciliation en partenariat avec l’ONG Radio La Benevolencija. Quand j’ai rejoint l’équipe en janvier, Frédérique Lecomte, la metteuse en scène, m’a intégrée dans le groupe des acteurs dès le début, et je me suis sentie bien accueillie. D’ailleurs, il y a même une scène dans le spectacle où je parle en lingala pour raconter ce que je pensais des conflits entre nos pays avant de m’y rendre.

Ce que j’en pensais, c’est que nos dirigeants n’ont pas la volonté de faire cesser les conflits dans les Grands Lacs. Je me disais que sûrement les peuples d’autres pays sont d’accords avec leurs politiciens pour que cela persiste. Je me disais aussi que pour pardonner les coupables, il nous faudra du temps. Surtout que rien n’est fini jusque-là, mais aussi parce que personne ne fournit d’effort et ne veut sacrifier ses intérêts égoïstes pour la paix.

Les supers héros de la cohésion sociale en train de jouer dans une localité rwandaise, la scène du bateau J’ai fui mon pays à cause de… ©Céline Pagniez

A Kamembe, où nous étions logés, je dois avouer que l’adaptation à cette nouvelle vie n’était pas du tout facile. Passer de longues heures à répéter les scènes sous un soleil accablant, rester debout pendant plus de trois heures par jour pour deux spectacles, dans deux endroits différents… Il y a eu des jours où je ne me sentais plus capable. Et si j’ai tenu bon, c’est grâce à l’équipe. Par équipe, entendez mes frères du Rwanda et du Burundi.  

Pour ceux qui ne connaissent pas ce théâtre, j’aimerais vous dire en quoi il consiste. C’est un outil transformateur qui apporte un message de réconciliation et d’espoir. Mais on ne se leurrait pas ici, on commence toujours par dire ce qui ne va pas. Il y a donc des scènes où on se bat entre nous, on se dispute la terre, on se souvient de nos morts, on parle des préjugés entre les peuples de la région des Grands Lacs… Ensuite, nous disons que nous voulons que les choses changent, parce que les conflits ont beaucoup duré et que cela ne fait que verser le sang.

Les supers héros de la cohésion sociale dans la scène Les morts reviennent. ©Céline Pagniez
Des femmes ont pleuré

Un mercredi alors que nous jouions au Rwanda une scène du spectacle très mélancolique où les gens se battent et s’entretuent après que chaque groupe (Congolais, Rwandais et Burundais) ait été intoxiqué pour se détester les uns les autres. Le musicien entonne une chanson disant : « Twese twarababa ye. » En français, « tous nous avons souffert ». En me relevant pour prendre la parole et dire qui j’avais perdu, j’ai vu de vieilles femmes de 70 à 90 ans pleurer à chaudes larmes, et j’ai compris que c’était réel. C’est vrai, nous souffrons tous à cause de ces conflits et quand je pense à ces femmes, j’ai des larmes pleins les yeux.

En somme, le théâtre peut amener les peuples à se réconcilier et à cultiver la paix. Je crois que c’est l’une des actions à mener sur une longue liste pour que les choses changent. Dans l’équipe des acteurs, il y avait des ex-enfants soldats, l’un d’eux m’a dit que le théâtre l’a sauvé, il n’avait pas les moyens de s’exprimer mais grâce au théâtre il a fait la paix avec son passé.

Les supers héros de la cohésion sociale dans la scène Sur les soupçons. ©Céline Pagniez

A la découverte de l’est du Congo

Cette aventure m’a permis de découvrir des régions du Sud-Kivu dont j’entendais parler : Kamanyola Katogota, Kiliba, la Plaine de la RuziziC’est une zone où les routes sont peu sûres après 15 heures à cause des brigands qui pillent et braquent les gens. Je me rappelle même comment un jour nous avons pris le risque de traverser la route après 15 heures, juste après avoir joué dans une localité entre Uvira et Katogota. Tout le monde dans le bus avait peur et était stressé. Nous l’avons échappé belle, parce qu’à notre retour à Bukavu, nous avons appris que des gens avaient été attaqués sur la même route.  

Ma participation à ce spectacle a été rendue possible grâce à la généreuse contribution de Koninklijke Vlaamse Schouwburg en abrégé KVS en français, Théâtre royal flamand. C’est un théâtre de Bruxelles. Il est le point d’ancrage de la compagnie théâtrale néerlandophone (KVS) de Bruxelles qui a pour objet la diffusion du théâtre professionnel en langue néerlandaise en Belgique et à l’étranger. Aujourd’hui, il propose des programmes de création en langue française également tout en accompagnant de jeunes talents.  

De ce voyage, je garde l’espoir que la paix est possible dans cette région de l’Afrique.

 


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Les commentaires récents (1)

  1. Mais l’approche en soit que fait Benevolencija n’a pas été bien abordé dans le témoignage de Do, j’allais la conseillé de nous partager cet article avant de le publié.
    Nous avons une équipe qui travail sur ce projet médias pour le dialogue depuis 2015. Nos observations, nos approches, seraient bien démontré dans cet article.