Comment font les Kinois pour survivre à la crise ? Le Kinois lambda est toujours mieux sapé, toujours « tokoos » comme s’il n’y avait rien d’alarmant. En moins d’une année, le franc congolais est passé de 1200 à 1550 FC pour un dollar. La vie à Kinshasa, déjà réputée chère, le devient de plus en plus.
Vous avez peut-être déjà fait face aux « matolistes » dans les rues de Kinshasa, sans vous en rendre compte. Sur le boulevard du 30 juin, tôt le matin, ils circulent en regardant les différents véhicules qui passent. Ils connaissent les voitures et les plaques d’immatriculation des autorités et des personnalités publiques. « Prézo », « Mopao », « grand prêtre » … Ils inventent tous les titres honorifiques pour louer ces stars et ces grandes personnalités jusqu’à ce qu’elles leur remettent quelques billets de banque. Et quand ils ont eu un peu d’argent, c’est souvent dans la bagarre qu’ils se les partagent.
Personnellement, j’avais toujours qualifié d’orgueilleuses ces personnalités qui leur remettent de l’argent juste parce qu’elles ont loué leurs noms. Je ne pouvais m’imaginer faire ça moi-même ! Un jour, je me retrouve à l’aéroport de Kinshasa, un gars beaucoup plus âgé que moi m’approche et me dit : « Vieux na nga ! Boss ya mwana muke, sauvez petit na yo… oyo petit na yo… » ( Mon vieux, sauve ton petit). C’est ce langage flatteur qu’ils utilisent pour demander de l’argent. Je n’ai jamais compris comment j’en suis arrivé à remettre un peu d’argent à ce gars, sans le vouloir. Lorsque je m’en suis rendu compte, l’argent était déjà entre ses mains. Je préfère ne pas vous dire combien ! Beaucoup de Kinois ont fait de ce genre de flatterie leur gagne-pain. L’unique moyen qu’ils ont pour espérer fréquenter un « malewa » (restaurant) le soir.
Connaître les coins des malewa
« Malewa », c’est le nom que portent les restaurants à Kinshasa, pas n’importe quels restaurants, mais les petites gargotes des quartiers chauds et populaires : Ngaba, Lemba, Sélémbao… Plus la crise est grande, plus il y a de « malewa ». Même dans le quartier chic de la Gombe, on les trouve. Les plats sont bons et appétissants, mais l’état hygiénique de ces lieux laisse à désirer, pour la plupart. À Kinshasa, les « malewa » sont fréquentés plutôt pour leurs prix bon marché et non pour la qualité des repas qu’ils proposent. Avec 2 000 FC (1.3 $), vous avez un plat de riz au haricot chaud, alors que dans les restaurants dits VIP, il faut débourser pas moins de 10 000 FC (environ 7$) ou plus pour le même plat.
Qui peut se passer des poissons à la sauce blanche, accompagnés des spaghettis de 1000 FC (0.7$) qu’on rencontre dans les « malewa » des universités ! Le plat préféré des étudiants ! Si hier les « malewa » étaient un métier réservé aux femmes, aujourd’hui les hommes s’y retrouvent.
(Relisez cet article publié sur Habari RDC pour découvrir les hommes tenanciers des malewa.)
L’article 15
L’article15 ne doit pas être confondu avec l’article 64 de la Constitution qui agite les uns et fait trembler les autres. Donc n’ayez crainte ! Il n’est même pas dans la Constitution du 18 février, ni dans aucune autre loi du pays. Article 15 veut simplement dire : débrouillez-vous ! Voilà pourquoi dans chaque coin de rue de Kinshasa, il y a des « ligablo » (petites boutiques de fortune), on y voit aussi des cireurs de chaussures et des vendeurs ambulants. Ces commerçants de rue se débrouillent ainsi pour nous rendre la vie facile. Chez eux, on peut acheter une chikwangue ou une moitié de boite de tomate et à bas prix, 100 FC. Cette débrouillardise, c’est ce qu’on appelle article 15 à Kinshasa.
Article 15, malewa, matolo… Tout cela peut sembler rudimentaire comme solutions, mais c’est grâce à ces adaptations que des milliers de familles survivent à la crise politique et économique qui secoue le pays. Ne vous fiez pas à nos apparences chics et bien sapées à la kinoise. C’est souvent le fruit de grands sacrifices quotidiens. Il est donc temps que les politiques en prennent conscience de peur que dans les jours qui viennent, l’article 15 ne se transforme en article 64.