Le collectif d’Art-d’Art vient de réaliser en ce mois de février 2024, cinq représentations de la performance théâtrale CoopKin à Kinshasa et à Mbanza-Ngungu. C’était sur cinq sites différents, notamment : l’Institut national des arts, l’arrêt des bus trafic de l’Université de Kinshasa, les quartiers de la Tshangu, le marché central de Mbanza-Ngungu et la bifurcation Gombe/Matadi devant le monument de Simon Kimbangu.
Une occasion pour ce collectif dirigé par Michael Disanka et Christiana Tabaro d’expérimenter les possibilités de « ramener l’art au cœur de la vie en faisant du public un acteur d’un théâtre ‘invisible’, qui le confond aux performeurs ».
Naissance d’une idée de création artistique
Comme le reconnait Michael Disanka, l’idée vient de la Plateforme contemporaine de Kinshasa. « On voulait créer une performance à présenter dans le cadre de la deuxième édition de Yango Biennale de Kinshasa, un festival d’art, qui avait eu lieu du 13 juillet au 14 août 2022 en pleine capitale de la République démocratique du Congo », explique-t-il.
Se servant de faux journaux édités à l’issue des enquêtes menées préalablement par Aurélien Gamboni et Blaise Musaka, Michael et Christiana sont partis d’une scène du quotidien pour créer. Pour eux, « l’idée était d’imaginer un espace et une tribune où tous les débats sociétaux de chaque jour seraient possibles ». On remarque cela aussi dans le choix des personnages qui performent.
A propos du personnage de la folle par exemple, Disanka a cet argument : « Le personnage de la folle s’est imposé à nous du fait que notre société semble tolérer la folie et fait par ricochet d’elle (de la folie) un état de toutes les libertés. »
Le public acteur d’un théâtre qu’il n’a pas créé
Cette magie a bien fonctionné avec ce passage de relais entre deux groupes d’artistes de différents domaines qui acceptent de se compléter dans cette collaboration. D’un côté, Aurélien Gamboni et Blaise Musaka dans les installations visuelles et sonores, et de l’autre, Chistiana Tabaro et Michael Disanka dans la création des pièces présentées. Il faut dire que la recette, telle que présentée, a payé illico, avec un public qui se laisse emballer comme c’est le cas dans la scène de la jeune dame qui négocie, puis crée une incompréhension entre elle-même et la vendeuse de haricot. On voit régulièrement de telles scènes à Kinshasa.
Cet emballement d’un public curieux qui utilise le téléphone portable pour capter les instants de vie qui sortent de l’ordinaire, a enrichi l’œuvre à plus d’un titre. Premièrement, en s’intéressant à cette scène d’incompréhension créée par une cliente qui donne à qui veut l’entendre une explication sans tête ni queue, avant de feindre une crise de folie. Ensuite, on voit que le public ne s’est pas empêché de se mobiliser pour imaginer et trouver une solution face à l’attitude loufoque qu’affichait désormais la cliente.
L’appropriation par ce public d’un problème qui frappe quelqu’un de sa communauté, a ouvert la voie à plusieurs débats et récits que chacune des personnes présentes à la scène, pourrait développer ou raconter. C’est également un motif de satisfaction pour le collectif. « C’était très intéressant de voir comment le public essayait de se débrouiller pour gérer la situation de cette dame qui, au départ, les a importunés, avant de devenir par la suite, une personne qu’il convient d’assister », fait remarquer Disanka.
En définitive, on retiendra que le succès de cette œuvre tient au fait qu’elle permet de replacer l’artiste sur la carte d’acteurs majeurs de la vie au sein d’une société comme la nôtre. « Il ne s’agit pas pour l’artiste de jouer un rôle de bouffon, de celui qui détourne l’attention ou verse dans les insanités ; mais de celui qui captive l’attention pour qu’un regard conscient soit posé sur notre société », estime Tabaro. Cela fait du travail du collectif d’Art-d’Art un véritable acte d’engagement, un sésame pour tout artiste désireux de réussir son ancrage local en vue de décrocher une reconnaissance internationale.