Trop d’avortements clandestins en RDC. Pourtant, il y a des avancées sur la dépénalisation de l’avortement dans ce pays, mais beaucoup de femmes ne le savent pas encore. Nous sommes allés à la rencontre de ceux qui, au quotidien, sont au contact des femmes qui, pour une raison ou une autre, font le choix de recourir à un avortement. Membres du gouvernement, médecins, experts d’ONG et membres de la société civile… Ils nous aident à comprendre dans ce billet l’évolution du statut juridique et légal de l’avortement en RDC.
Pour illustrer la triste réalité que vivent les femmes contraintes de faire des avortements non sécurisés en RDC, une pièce théâtrale de la troupe « Bafuidi Nsoni » a été présentée le 28 septembre 2018. C’était à l’occasion de la conférence sur la Journée internationale de l’avortement sûr organisée par la Coalition contre les grossesses non désirées, le ministère du Genre et leurs partenaires (Ipas, Guttmacher Institute).
Des avancées juridiques remarquables
Il est vrai que jusqu’à ce jour, le Code pénal congolais à son article 166 punit toute femme qui avorte « d’une servitude pénale de 5 à 10 ans ». Cependant, depuis mars 2018, la RDC est signataire du protocole de Maputo qui enjoint aux États de légaliser l’avortement médicalisé en cas de viol, d’anormalité fœtale ou encore s’il s’avère nécessaire de protéger la santé de la femme. Le texte du protocole de Maputo a même déjà été publié au journal officiel de la RDC, ce qui signifie son entrée en vigueur. « La mise en application du protocole est essentielle pour garantir aux femmes la capacité d’exercer leurs droits, y compris leur droit d’avoir accès à des services de santé sexuelle et de reproduction de qualité », déclare Chantal Safou Lopusa, ministre du Genre, enfant et famille.
En attendant la révision du Code pénal congolais, l’article 14 du protocole de Maputo devra être appliqué sans détour. C’est ce que rappelle la circulaire N°04/SPCSM/CFLS/EER/2018 du 06 avril 2018 du président de la Cour constitutionnelle et du président du Conseil supérieur de la magistrature. « Cette circulaire demande aux chefs des juridictions et offices des parquets de procéder à l’application immédiate de l’article 14 du protocole de Maputo, sans attendre la révision du Code pénal congolais », soutient Timothée Lunganga Mukendi, membre du Comité de l’article 14 du protocole de Maputo et expert au ministère de la Santé. « Il s’agit d’un tournant radical en faveur de la protection et de la promotion des droits sexuels et reproductifs en RDC », ajoute Jean Claude Mulunda, chargé de projets d’Ipas.
Des statistiques qui interpellent
Malgré l’interdiction de l’avortement par la loi, des études récentes (2016) menées par Guttmacher Institute indiquent que les femmes ont toujours recours à l’avortement. Une précédente étude a révélé qu’au moins 15% des femmes ayant déjà été enceintes ont admis avoir avorté au moins une fois au cours de leur vie.
« Mais, du fait de leur caractère illégal, presque tous les avortements sont réalisés dans la clandestinité et les complications incluant le décès sont courantes », souligne docteur Patrick Kayembe de Guttmacher Institute. Il ajoute qu’« il n’existe pas de statistiques fiables sur les fréquences des avortements en RDC ». Toutefois, les études menées par cette organisation indiquent que le taux de mortalité maternelle en RDC est élevé. L’estimation avoisine 693 pour 100 000 naissances vivantes. Plus grave, 6 grossesses sur 10 sont des grossesses non désirées.
Toujours selon cette étude de Guttmacher Institute, on estime à 14 6700 le nombre d’avortements réalisés à Kinshasa en 2016. Ce qui représente un taux de 56 femmes pour 1000 en âge de procréer. « Ce qui est bien plus élevé que le taux régional global de l’Afrique centrale de 35 pour 1000 entre 2010 et 2014 », précise-t-on dans ce rapport, et ce, malgré l’interdiction de l’avortement dans le Code pénal congolais. Il est donc grand temps d’agir face à l’ampleur du problème, une urgence relevée par les ministères de la Santé et du Genre qui tous deux tiennent à l’application du protocole de Maputo pour le respect des droits de la femme.
Ainsi, les medias, le gouvernement, les organisations de la société civile continuent de sensibiliser la société sur ce protocole de Maputo à travers le pays et dans les communautés. La bonne nouvelle c’est que le ministère de la Santé s’engage à rédiger des normes et directives pour des soins complets relatifs à l’avortement. Ce qui permettra aux prestataires de santé de donner ces soins selon les normes et les standards de l’Organisation mondiale de la santé. Lors de la célébration de cette journée internationale de l’avortement, on a noté ce regret d’une mère affligée ayant perdu sa fille suite à un avortement clandestin : « Soki na yebaka, nde nabungisa mwana na nga te. » (Si je savais tout ça, ma fille serait encore en vie aujourd’hui).
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