Dans Goma, ville marquée par l’occupation des rebelles M23, la pièce de théâtre intitulé Héros malgré lui a transcendé les tensions le week-end dernier. Elle a offert au Foyer culturel de Goma une expérience théâtrale mémorable. Sous la plume de Jocelyn Danga et la mise en scène audacieuse de Cynthia Marifa, cette œuvre sortie de résidence explore avec profondeur la mémoire des héros congolais et leur héritage souvent oublié.
« Mourir, c’est comme dormir. On ne sait jamais vraiment dans quel état on est ». Ces mots, murmurés par un personnage, sont une réflexion sur le sacrifice. Ils résonnent comme un leitmotiv tout au long de la pièce théâtrale. Ils enveloppent l’audience dans une méditation profonde sur la fragilité de l’existence et la violence des réalités congolaises. La pièce raconte ces vies brisées par des balles traîtresses, « qui n’auraient même pas osé regarder leurs victimes en face ».
Entre la colonisation, l’indépendance et l’activisme d’aujourd’hui, Héros malgré lui ramène à la lumière ces hommes et femmes oubliés, pourtant vivants dans la mémoire collective.
Une mise en scène qui dialogue avec le passé et le présent
Sous la première mise en scène de la jeune comédienne Cynthia Marifa, le texte de Danga prend vie avec une intensité rare. Marifa utilise un décor minimaliste pour laisser toute la place à l’expression des émotions. Les jeux d’ombres et de lumière amplifient la présence quasi spectrale des héros tombés, comme s’ils veillaient sur la scène depuis une autre dimension. Les comédiens, avec une sincérité désarmante, incarnent non seulement les martyrs du passé mais aussi les porteurs des luttes actuelles.
L’un des moments les plus marquants voit un personnage hurler : « Quand je suis venu au monde, personne ne m’a dit que c’était sous la menace d’une balle traîtresse que je tomberais. » Ces mots, portés par une interprétation vibrante, plongent les spectateurs dans une réflexion déchirante. Au-delà de leur mort tragique, les héros congolais vivent encore à travers les idéaux qu’ils ont portés et les luttes qu’ils ont inspirées.
L’art comme acte de résistance et de reconstruction
Héros malgré lui n’est pas qu’une pièce de théâtre : c’est un acte de résistance face à l’oubli, un cri pour la mémoire dans une ville de Goma meurtrie. Alors que la région subit l’occupation, ce spectacle a prouvé que l’art reste un outil puissant pour panser les blessures sociales et culturelles. La pièce rappelle que, dans les moments les plus sombres, la culture peut rétablir les liens brisés et faire vibrer l’espoir.
Le public, composé de jeunes et de moins jeunes, est reparti profondément ému, mais aussi inspiré. Héros malgré lui a ravivé une flamme essentielle : celle de la mémoire collective, qui éclaire notre présent et guide notre avenir. Comme le dit si bien la pièce, « une balle traîtresse peut tuer un corps, mais elle ne peut éteindre une mémoire ».
En ayant permis un accès gratuit à leur représentation, Cynthia Marifa et des comédiens ont offert à Goma bien plus qu’une pièce, un héritage vivant qui continue de murmurer aux oreilles des spectateurs congolais. Le théâtre a bougé les lignes, et ce faisant, il nous rappelle que l’art n’est jamais un luxe, mais une nécessité pour reconstruire les âmes et les sociétés.