Dans le cadre d’une nouvelle rubrique sur notre site, Habari RDC donne la parole aux ambassadeurs et acteurs politiques, institutionnels de la RDC. Sentez-vous libres de partager, critiquer, commenter chacun de ces contributeurs. Pour cette première tribune, que nous appellerons « La lettre de… », c’est l’ambassadeur des Pays-Bas en RDC qui prend la parole. Robert Schuddeboom a rédigé un article sur sa vision de ce que serait le rôle majeur de l’exploitation minière dans ce riche pays de l’Afrique centrale. Selon lui, une exploitation minière responsable améliorerait les conditions de vie de la population congolaise, dont le revenu est l’un des plus bas au monde.
« Ma pensée pour les minerais du Congo », par Robert Schuddeboom ambassadeur des Pays-Bas à Kinshasa
J’ai appris à connaître la RDC comme un pays marqué par des contrastes. D’un côté, un énorme potentiel réside dans ce pays : une biodiversité élevée, des minerais, des sources d’énergie renouvelable, une main-d’œuvre relativement jeune et sa possibilité de nourrir plus de deux milliards d’êtres humains.
De l’autre côté, on est dans un pays où la richesse par habitant est l’une des plus faibles du monde. En termes de parité de pouvoir d’achat, celle d’aujourd’hui en RDC est le tiers de celle de 1960. Moins de 7% de la population a accès à l’électricité et le pays se trouve parmi les 20 pays qui sont tout en bas de plusieurs indices importants. Cela pourrait-il changer ? Oui, puisque le potentiel est là, mais comme partout, la gouvernance est la seule manière de parvenir à une solution durable.
Les minerais une bénédiction et un malheur pour le Congo
Dans la richesse des ressources naturelles de la RDC réside un grand potentiel de développement. La valeur totale des ressources de minerais est estimée à environ 24 000 milliards de dollars américains. L’exploitation artisanale et l’exploitation minière à petite échelle demeurent les principaux pourvoyeurs d’emplois.
De nos jours, au niveau mondial, nous dépendons des minerais congolais (en particulier du cobalt) pour la fabrication d’outils de nouvelles technologies comme les Smartphones, les voitures électriques et l’énergie renouvelable. Pas d’iPhone sans le coltan, pas de voiture électrique sans le cobalt. En 2030, on attend que la RDC soit responsable de 75% de la production mondiale du cobalt. Pour le Congo, il ne s’agit pas de simples statistiques mais il s’agit d’une réalité qui aura de grandes répercussions sur le pays.
Si l’on regarde les bilans des dernières années, on témoigne déjà d’une augmentation significative de l’exportation des minerais congolais. S’appuyant sur les chiffres du Fonds monétaire international, les exportations congolaises ont connu un développement de 9 milliards de dollars en 2016 à 12 milliards en 2017. On prévoit que cette valeur atteigne la barre des 19 milliards en 2018 pour arriver à un montant de 30 milliards de dollars en 2021.
Les minerais offrent des possibilités impressionnantes qui entraineraient très probablement des recettes publiques plus élevées. Ces recettes, à leur tour, auraient pour conséquence un nombre plus important d’investissements, ainsi qu’un meilleur accès à l’éducation, à la couverture médicale et aux logements. En bref, l’exploitation minière pourrait aider à parvenir à une situation dans laquelle la population congolaise pourrait profiter de sa propre richesse.
Cependant, les minerais en RDC présentent également un autre visage, étant donné qu’ils demeurent l’une des principales causes de conflits dans le pays. Les minerais alimentent les violations des droits humains puisqu’ils sont souvent exportés illégalement et financent des conflits. La violence sexuelle constitue des abus envers les femmes en même temps qu’une exploitation criante de la main d’œuvre. Les enfants sont présents autour de sites miniers, surtout dans la partie est du pays.
Cette ère des minerais de conflit devrait se terminer le plus vite possible. Tel est mon souhait.
Les preuves montrent que le développement de l’extraction et le commerce durable des matières premières peuvent réduire les conflits et les violations de droits de l’homme, mais aussi supporter les développements socio-économiques en RDC. Des partenaires internationaux comme les Pays-Bas continueront, en collaboration avec les Congolais, à lutter contre les dimensions négatives de la production minière.
Vers une consommation minière plus responsable
Un autre développement crucial que nous observons parmi les consommateurs d’Europe et d’autres pays concerne la préférence pour un mode de consommation responsable et durable. Cette tendance promet d’être intéressante, étant donné que les pays ne peuvent pas se servir d’une position quasi-monopolistique. Une situation qui était, certes, possible il y a 30 ans.
Aujourd’hui, il faut qu’on se sensibilise à une situation gagnant-gagnant. Les entreprises internationales en aval peuvent augmenter leurs demandes de minerais et celles en amont, nationales ou internationales, ainsi que les mines artisanales et à petite échelle, peuvent d’une manière responsable augmenter leur approvisionnement de minerais, dont le cobalt.
Les États-Unis et l’Union européenne ont stimulé l’adoption de directives de l’OCDE pour des entreprises multinationales et le Guide sur l’approvisionnement responsables en minerais supplémentaires. Par ces directives, des entreprises peuvent s’assurer qu’elles identifient et minimisent les risques pour les droits humains (le travail des enfants et la pollution de l’environnement). Les États-Unis et l’UE encouragent ces efforts notamment par des mesures législatives : le US Dodd Frank Act sur les minerais de conflits (actuellement en cours de révision) et le European Union Regulation on Conflict Minerals (en vigueur depuis le premier janvier 2018).
Pour nombre d’entreprises, l’approvisionnement responsable est toujours volontaire. Toutefois, la sensibilisation des consommateurs et la responsabilité sociale des entreprises poussent à prendre des mesures incitatives pour transformer ces normes en standards et non comme des exceptions. Cela peut avoir des incidences positives sur la situation dans de nombreuses régions du pays. Les Pays-Bas ont toujours joué et joueront dans le futur un rôle de premier plan dans ce champ.
Quel rôle pour les Etats occidentaux et particulièrement les Pays-Bas ?
Les Pays-Bas ont soutenu activement l’exploitation minière au Congo et dans les pays voisins. Pour vous donner une idée de ce que l’on fait en RDC, je vous donne quelques exemples : on a lancé le Conflict-free tin initiative pour l’extraction d’étain dans les Kivu en RDC. Nous aidons à renforcer le système de traçabilité ITSCi (International Tin Supply Chain initiative) afin d’augmenter la quantité de l’étain, le tantale, le tungstène produits de façon responsable en RDC ou au Rwanda. Par un co-financement de Responsable Mining Index, lancé à Genève le 11 avril 2018, on vise à soutenir la population congolaise.
Cet indice a pour objectif de libérer tout le potentiel de l’activité minière dans des régions les plus pauvres du monde afin que l’économie et la population puissent en tirer profit et que l’environnement ne soit pas pollué. Il y a de nouvelles technologies à explorer comme la blockchain pour tracer et vérifier les minerais récupérés de façon responsable. La technologie de la blockchain est déjà utilisée par les Nations unies pour aider des réfugiés dans l’achat de biens. On renforce le Regional Certification Mechanism afin d’implémenter de façon efficace les six outils sur la déclaration de Lusaka de décembre 2010.
De cette façon, nous voulons lutter contre l’exploitation et le transport illégal de minerais dans la région des Grands-Lacs. Les Pays-Bas soutiennent le Global Compact (initiative qui promeut l’implémentation des principes universels de la durabilité) et participeront à la semaine minière à Lubumbashi en juin 2018. Nous collaborons avec des partenaires afin d’implémenter les VPI’s (voluntary principles initiative). Nous avons fondé une initiative qui s’appelle le European partnership for responsible minerals. Cette initiative accompagne la régulation de l’UE. Par cette initiative, nous encourageons les entreprises, le gouvernement et la société civile à coopérer et à créer plus de commerce de minerais exploités de manière responsable. De plus, nous aidons les entreprises à faire preuve de diligence raisonnable et nous soutenons les projets miniers, par exemple un projet sur le genre et l’exploitation de l’or.
Quel avantage le nouveau code minier présente pour la population congolaise ?
En tant qu’ambassadeur, je reçois de nombreuses questions concernant le nouveau code minier. À mon avis, le code entrainera une situation plus positive en termes budgétaires. Les dernières années, la part des revenus des sociétés minières a été de moins de 30%. Au cours de l’année difficile de 2017, avec des revenus de l’État de 3 milliards de dollars, les minerais ont contribué à 700 millions de dollars (plus de 20% des revenus et 6-7% des exportations totales de minerais). Évidemment, je suis conscient du fait qu’il y a beaucoup de discussions liées au nouveau code minier. Je souscris pleinement aux demandes d’un climat commercial équitable, étant donné que cela pourrait créer beaucoup de bénéfices pour le pays. J’admets que je ne suis pas un expert en droit, mais je crois que nous serons tous d’accord en ce qui concerne la finalité générale de l’exploitation minière en RDC. La population congolaise devrait profiter de la richesse des minerais exploités dans son propre pays.
Les calculs clairs et confirmés sur le nouveau code minier n’existent pas, mais je n’exclus pas que le budget national pourrait doubler d’ici quelques années. Cela serait le premier game-changer dans le contexte congolais. Le deuxième est lié aux résultats positifs de l’implémentation des politiques de la responsabilité sociale des entreprises concernant la production de minerais, en commençant par le cobalt. Au cours de mes années en tant qu’ambassadeur en RDC, j’espère fortement être témoin de ces jours meilleurs.
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