Il n’y a pas de centre de capture permanent des passeports en ville de Butembo, province du Nord-Kivu dans l’Est de la RDC. Alors, quand les autorités annoncent l’installation d’un centre mobile courant février, je suis l’un de ceux qui s’empressent pour se renseigner. Et entamer les démarches. « Les mauvaises langues » ont annoncé sur les réseaux sociaux que le passeport coûterait 320$. Officiellement, pourtant, il s’acquiert à 185$. Le chiffre est tellement haut qu’au moment de faire le premier pas je pose un certain nombre de questions au porte-parole du maire.
Un prix consensuel ?
Et celui-ci de m’affirmer que le prix ne sera pas aussi prohibitif. «Le prix sera fixé de manière consensuelle entre l’équipe locale et les envoyés du ministère des affaires étrangères », dit-il dans son bureau avant de me montrer l’ordre de mission –transparence oblige- de ces envoyés de Kinshasa devant être pris en charge par le gouvernement provinciales du Nord-Kivu. Devant mon air indécis, il tranche : « Nous espérons que le prix ne va pas dépasser la barre de 250$, tous frais inclus. Il faut penser à loger, restaurer la délégation ». L’air inquiet, je débourse 2000 francs congolais pour obtenir le jeton du « centre mobile de capture de Butembo, ministère des affaires intérieures (SIC!) et coopération internationale » pour les premières formalités. C’est le début du chemin vers le passeport « ordinaire ». En bon citoyen.
Une razzia savamment orchestrée
Les kinois (membres de la délégation), attendus à Butembo le 18 février pour rentrer le 3 mars, débarquent le jour où ils sont sensés faire le chemin retour. Conséquence : la mission est écourtée. Une semaine, pas plus. Surtout, ils trainent à Goma. Et quand j’appelle le porte-parole du maire de Butembo pour faire le suivi, il a des difficultés à me donner le prix exact de cette panacée. J’aurais aimé lui lancer : «Plus de trois cents dollars ? C’est quoi cette folie ?» C’est presque le double de Kinshasa. Sauf que, dans la capitale, il faut savoir « bomber son torse » en plus de nombreux « frais de facilitation ». Tout comme ailleurs où il y a un centre de capture permanent des passeports. Se rendre à Bunia, en Ituri ? On n’est jamais à l’abri d’une barbarie des présumés ADF sur cette voie. Bukavu, au Sud-Kivu ? Pour cette alternative, au-delà de la crainte de se noyer dans le canot Nyiragongo sur le lac Kivu, c’est surtout la route dans le parc des Virunga avec les FDLR qu’il faut redouter. Dernière escapade, Kampala, en Ouganda. Le pays de Museveni a doublé le prix du visa depuis l’année passée. Donc, je reste dans ma ville.
Le calvaire
On ne veut pas que les habitants de cette ville acquise à l’opposition ne puissent quitter le pays en cette période trouble ? Tout compte fait, il faut prendre le passeport localement. Qu’importe le prix. Deux voyages en Chine et le commerçant ne va pas regretter son investissement. Ou bien, ce passeport au prix d’or est une opportunité pour ramasser le pactole ? Car, en septembre de l’an passé, plus de 1300 passeports ont été capturés à Butembo. Le processus, à proprement parler, commence par l’ « achat » d’une photocopie de la fiche de demande de passeport avec 2000 francs congolais. Les agents locaux doivent « se retrouver ». L’honnête citoyen ne veut pas faire de « passe courte ». J’ai tout le temps devant moi. Ce qui m’étonne, c’est qu’on paie la fiche à 320$ sans bordereau de versement à la banque. Pas de trace, non plus, de reçu de cet argent. Il faut maintenant faire face aux agents de l’ANR avec les questions sur mes origines. Pas de vérification de leur part pendant la trentaine de minutes d’interrogatoire musclé.
Agir ?
Il est bientôt 19 heures. Comme tout le monde, je me tire moyennant 5$. En prenant congé de l’ANR, ce n’est pas exclu d’avoir l’air de somnolence sur le passeport. Au Congo, l’enfer, c’est la porte à côté. Vous voulez agir pour le changement ? Faites-le : je dois chercher l’argent pour retirer mon passeport. La « révolution de la modernité » peut encore innover et m’obliger de refaire ce parcours.