Dans une nouvelle tribune, l’avocat Hubert Tshiswaka Masoka fait des propositions pour que la table ronde que compte organiser le gouvernement sur l’état de siège soit une réussite. Pour lui, il faudra éviter de répéter les erreurs de la table ronde de Lubumbashi entre Kasaïens et Katangais qui, au lieu de résoudre le problème, en a créé davantage.
La tribune d’Hubert Tshiswaka est intitulée : « Tables rondes : d’une feuille de route inapplicable au Katanga aux attentes sur l’état de siège en Ituri et au Nord-Kivu. » Nous vous proposons cette tribune ici in extenso.
« A l’issue de la réunion gouvernementale du 04 mai dernier, le président de la République a annoncé la tenue prochaine d’une table ronde sur l’état de siège dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Cette rencontre vient après celle de Lubumbashi sur le « Conflit entre Kasaïens et Katangais » qui a résolu de l’instauration d’une feuille de route, pour entrer au Katanga. Eu égard au contexte politique volatile, précédent la tenue d’élections de 2023, il convient de contribuer à la réflexion, afin que les éventuels résultats de Goma rencontrent des attentes du public, contrairement à la table ronde de Lubumbashi qui, au lieu de proposer des solutions au problème, en a créé davantage.
Table ronde de Lubumbashi
Tenez ! la table ronde de Lubumbashi a résolu, notamment, de l’instauration d’une feuille de route, afin de contrôler le déplacement de la population du Kasaï vers le Katanga. Une telle résolution est, premièrement, contraire aux instruments juridiques internationaux et la Constitution qui consacrent la liberté des mouvements des citoyens. Deuxièmement, la feuille de route sera discriminatoire, si elle ne concerne que la population qui quitte le Kasaï vers le Katanga, ou tend à ne protéger que le Katanga du flux des personnes venant du Kasaï.
Troisièmement, si d’autres provinces ne prévoient pas de telles mesures, la population kasaienne passera par-là, soit pour s’y établir, soit pour transiter, en route vers le Katanga. Ainsi, la feuille de route sera tout simplement irréaliste, à défaut de consacrer un Etat dans l’Etat.
Par ailleurs, des générations de Kasaïens sont établies au Katanga depuis des siècles, et se meuvent entre le Katanga et d’autres provinces de la République. A se demander comment la police agirait, afin de distinguer des Kasaïens « nés de père et de mère » établis au Katanga de ceux nés au Kasaï, sans provoquer des troubles sociaux ni de l’arbitraire à chaque point d’entrer au Katanga ? Comment envisager la dénonciation de ses propres parents qui n’obtempèreraient pas à ladite mesure? En somme, la table ronde qui a occasionné des dépenses du Trésor n’a pas résolu le problème des flux migratoires, par contre, elle en a créé d’autres.
État de siège en Ituri et au Nord-Kivu
Au regard de la façon ci-dessus dont les politiciens ont pensé résoudre les problèmes des provinces du Kasaï et du Katanga, la présente réflexion contribue à la table ronde sur l’état de siège au Nord-Kivu et en Ituri. Elle recommande autant aux Think Tanks, à toute personne ou groupe de penseurs d’en faire autant.
Pour rappel, l’état de siège en Ituri et au Nord Kivu était motivé, le 03 mai 2021, par la situation sécuritaire délétère dans ces deux provinces, de plus en plus préoccupante, « de par sa nature et sa gravité ». D’une manière immédiate, la menace contre l’intégrité du territoire national affectait le fonctionnement des institutions. Par ailleurs, les conséquences néfastes de la crise sécuritaire provoquée par le cycle récurrent de violences imposaient la prise de mesures exceptionnelles, en vue d’endiguer ces menaces graves et de sécuriser les populations et leurs biens.
Il revient que la mise en œuvre des mesures exceptionnelles de l’état de siège a permis de découvrir que des officiers, sous-officiers et soldats des FARDC collaboraient depuis longtemps avec des groupes armés, des politiciens locaux et des trafiquants illégaux des matières précieuses. Alors que des crimes odieux étaient perpétrés par ces mêmes groupes armés locaux et étrangers, contre la population civile.
Bien que des officiers et soldats des FARDC soient arrêtés, jugés, condamnés et mis en détention pour leur complicité et que soient détruites des positions d’égorgeurs de l’Allied Democratic Force (ADF) et autres criminels ; certains politiciens et trafiquants des ressources naturelles sont encore actifs. Ils participent même à développer des campagnes plus virulentes contre l’armée régulière déployée sur le champ de bataille. Cette propagande anti-FARDC a été favorable à la récente réactivation du mouvement terroriste M23 qui a repris des hostilités, afin d’exiger sa participation aux négociations politiques de Nairobi.
Pendant que des soldats FARDC affrontent des égorgeurs et des terroristes, une élite pro-milice crée le doute et la confusion dans l’opinion, autour des acteurs de la guerre de l’Est. Elle publie des avis confus demandant à la communauté internationale de démolir l’armée régulière, au motif qu’elle serait infiltrée par des militaires au service de l’étranger. Et pourtant, des procès publics contre des officiers démontrent à suffisance cette évidence que nulle ne peut plus nier, pour laquelle la profonde réforme des FARDC s’impose, plutôt que sa démolition, en pleine guerre.
D’autres parts, des politiciens et leurs Think Tanks démobilisent le soldat au front ou le poussent à la mutinerie. Ils ne cessent de crier que les militaires venus d’autres provinces de la RDC qui combattent des égorgeurs et des terroristes ne connaissent pas la réalité, par rapport à leurs frères d’armes issus des groupes ethniques de la région en guerre. Ces messages tendent à souligner la différence des origines des militaires visant à les distancer les uns des autres.
Enfin, ces supplétifs des milices visent à diminuer la confiance de la population dans l’armée régulière. Tout crime commis par un individu ou groupe de militaires qui devrait être déféré devant la Cour martiale est amplifié et présenté comme caractéristique des FARDC. De telles prétentions ont pour objectif de présenter des égorgeurs d’ADF et des terroristes du M23, comme sauveurs de leurs victimes.
Il en résulte que les motifs de la déclaration de l’état de siège n’ont été rencontrés qu’en partie. Des difficultés rencontrées par le front militaire, l’on dénombre la collaboration des officiers avec des groupes armés. En plus, il se constate un comportement irresponsable des politiciens, face aux milices armées et la multiplication de nouvelles tensions, comme stratégie de conquête du pouvoir, à l’horizon 2023.
L’analyse conclut à l’impérieuse nécessité d’amplifier et d’améliorer la protection de la population civile, face aux atrocités des égorgeurs et des terroristes. Elle recommande, de manière générale, que le gouvernement associe à la recherche des solutions idoines des universités, des organisations de la société civile et des églises. Car, des rencontres des politiciens, comme celle de Lubumbashi, finissent par des déclarations politiciennes présageant des calculs de repositionnement.
Concernant l’état de siège, la réflexion propose son maintien et le renforcement de la présence militaire dans toute la zone sous menace des égorgeurs d’ADF et des terroristes du M23, jusqu’à la tenue des élections des gouverneurs civils, en 2023.
Augmenter les moyens logistiques et humains, afin de permettre la détection et l’extirpation d’officiers et des soldats FARDC au service des groupes armés ;
Appliquer rigoureusement les mesures d’exception contre quiconque jouerait un rôle néfaste, propice à l’exacerbation des tensions sociales ».
Par maître Hubert Tshiswaka