Habari RDC a rencontré Fred Bauma, membre influent du mouvement Lutte pour le changement (Lucha). Un mouvement très actif aux derniers jours du dernier mandat constitutionnel du président Kabila. La Lucha semble s’être refroidie après le 19 décembre. Fred Bauma répond aux questions d’Habari RDC.
Habari RDC : En quoi consiste la lutte de la Lucha maintenant que le 19 décembre est passé ?
Fred Bauma : L’année passée nous avons mené plusieurs campagnes pour pousser le président de la République à respecter la Constitution. On ne s’était pas arrêté à seulement le lui demander, mais nous avons aussi donné des pistes de solution. Par exemple, la proposition de coupler l’enrôlement avec la présidentielle. On avait été aussi dans les consultations pré-dialogue de la Cité de l’Union africaine. Nous avons quitté ces consultations car elles n’étaient pas dans la logique du respect de la Constitution.
Finalement, nous avons lancé la campagne « bye-bye Kabila », pour qu’il démissionne à la fin de son mandat. La lutte de la Lucha c’est deux choses. D’abord, elle ne se résume pas au départ de Kabila. Elle va au-delà, même si le départ de Kabila est un point important au moins en ce qui concerne la démocratie. La deuxième chose, c’est que nous continuons à mettre la pression, on organise des manifestations dans plusieurs villes pour pousser la CENI à publier un calendrier électoral et un budget réaliste pour les élections afin que des bailleurs de fonds puissent se manifester.
Nous avons fait aussi plusieurs sorties pour demander aux acteurs de la majorité comme ceux de l’opposition d’être plus responsables, de voir l’intérêt de la population et d’arrêter de tergiverser sur des questions qui n’en valent pas la peine. C’est sur ça que nous nous focalisons pour le moment, afin d’avoir des élections à la fin de cette année. On espère aussi que les acteurs vont être responsables.
Pensez-vous que ne pas avoir obtenu le départ de Kabila en 2016 est un échec pour la Lucha ?
Je pense que c’est un échec. Un coup dur pour la démocratie. Et pas seulement pour nous, mais aussi pour tous ceux qui avaient signé l’accord de Sun City, et ont écrit cette Constitution. C’est donc l’échec de tous ceux qui ont cru en la démocratie. Mais ce serait tragique si en voyant cet échec on avait baissé les bras. On pense que c’est une étape, qui est passée, on n’a pas obtenu ce qu’on voulait dans les temps mais la lutte continue.
Est-ce que les membres de Lucha font exprès de narguer les autorités pour se faire arrêter et ainsi faire parler d’eux ? Comme le sit-in récemment à la mairie de Kinshasa où vous avez empêché des agents publics de travailler.
Si tu as déjà été en prison, tu saurais qu’on ne peut pas souhaiter se faire arrêter volontairement. C’est trop pénible pour qu’on veuille le chercher volontairement. Il faut retenir que les autorités de notre pays veulent que nous ayons peur et que nous cessions de revendiquer nos droits. Elles auraient réussi si on finissait par avoir peur d’aller en prison.
Pour le cas de Kinshasa par exemple, nos militants soulevaient un problème sanitaire que tout le monde vit dans cette ville. Ils ont écrit plusieurs fois aux autorités urbaines avant de manifester, ce qui est un droit constitutionnel. Alors, s’ils se font arrêter ce n’est pas à eux qu’il faut jeter la pierre, c’est plutôt au gouvernement qui les a arrêtés. Mais les autorités cherchent à nous faire arrêter, à nous faire battre, nous enlever et nous faire passer une année en prison. Non, ce n’est pas gai. Nous ne pouvons pas arrêter de revendiquer nos droits parce qu’il y a un gouvernement qui va nous réprimer.
Quelle est la suite de la campagne « bye-bye Kabila » ? Prévoyiez-vous de confisquer les biens de certains membres du gouvernement ? Ou vous avez donné une légitimité au gouvernement issu de la Cité de l’UA ?
Non, on n’a pas donné la légitimité à ce gouvernement, il est illégitime. Quant aux prédateurs de la démocratie, nous avons publié leurs noms, pas encore leurs biens. L’idée n’était pas de demander aux gens de s’attaquer à leurs biens, mais plutôt de répertorier les noms des personnes dont l’influence facilite la violation de la Constitution. Nous voulions faire savoir à ces gens-là qu’on les connaît et qu’un jour ils répondront de leurs actes. On veut leur dire qu’on connaît ce qu’ils font.
Fred Bauma, avez-vous un mot particulier à adresser aux Congolais qui te lisent sur Habari RDC ?
Ce que je n’arrête pas de dire à mes compatriotes, c’est que le pouvoir appartient au peuple. C’est ça la démocratie. Le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Si on abandonne ce pouvoir et qu’on laisse la peur dominer nos droits, nous aurons échoué, nous aurons fait la honte à notre génération et aux générations à venir. Nous devons prendre conscience que nous avons ce pouvoir-là. Sinon on ne mérite pas d’être de bons citoyens, on ne mérite pas de pleurer nos morts.
Tu as été parmi les dix personnes les plus influentes de la province du Nord-Kivu selon le journal Jeune Afrique, penses-tu l’avoir mérité ?
Je n’ai pas participé à ce classement, mais je pense que Jeune Afrique a ses raisons de m’avoir mis dedans. Je l’avoue ça me flatte un peu, mais j’essaie de rester moi-même, ce garçon qui marche à pied et prend le bus avec tout le monde. Je pense qu’être vraiment influent, c’est plus un mode de vie qu’un truc artificiel.
Fred Bauma, combien d’argent tous ces voyages à l’étranger t’apportent-ils, sincèrement ?
(Rire), Je suis un bénévole. J’ai mes initiatives à côté qui m’apportent très peu d’argent, mais je suis fauché ! Mais non, ça ne m’apporte pas de l’argent, c’est juste ma passion. Je veux profondément que les choses changent, et là où il me faut porter ma voix pour que les choses changent au pays, j’y vais volontiers. Ça me prend du temps et de l’énergie. Je ne dors pas pendant ces longs voyages, et non ça ne m’apporte pas d’argent.