Six évasions en l’espace d’un mois en RDC, cela pose des questions. Le plus étonnant est qu’elles ont eu lieu dans les prisons les plus sécurisées du pays. Comment expliquer ces attaques menées avec une telle facilité dans des villes aussi stratégiques et militarisées telles que Kinshasa et Beni ?
Pour Fiston Mahamba, il y a eu défaillance sécuritaire dans les prisons concernées. « À Kinshasa, plusieurs carrefours sont équipés de caméras de surveillance depuis décembre 2015. En installant ces caméras, le gouvernement avait avancé des raisons sécuritaires. Mais pourquoi ces caméras n’ont pas pu suivre le mouvement des assaillants et aider à prévenir les évasions ! », s’interroge-t-il.
Didier Makal de Lubumbashi renchérit : « Cette histoire d’évasions des prisonniers c’est du grand n’importe quoi. Qu’est-ce qui peut expliquer que des gens entrent dans une prison et en sortent comme on sort d’une foire ? Depuis le 17 mai, six prisons ont connu des évasions spectaculaires. Pourtant, la plupart de ces prisons sont situées dans les régions avec une forte présence militaire de FARDC. Je ne comprends pas que le gouverneur du Nord-Kivu avance comme raison pour justifier les évasions de Kangbayi le fait que les assaillants avaient mené une ‘’attaque aux armes lourdes’’. Or, Beni est censé être hyper protégé depuis les massacres des deux dernières années ! »
Pour les deux blogueurs, il y a eu une vraie négligence et même incompétence des autorités du secteur carcéral, en commençant par le ministre de la Justice qui normalement aurait dû démissionner.
Geôliers mal payés ?
Le blogueur Rodriguez Katsuva de Goma n’y va pas par quatre chemins : « Toutes ces attaques sont le fruit de l’incompétence de nos dirigeants et des défaillances du système. Nos policiers sont mal payés, mal équipés et mal nourris. Que voulez-vous qu’ils fassent devant de telles attaques surprises ? Pour Beni par exemple, je me souviens de l’affaire de gros détournement des soldes des policiers qui impliquait même le numéro 1 de la police du Nord-Kivu. On avait étouffé l’affaire, mais elle a eu le mérite de mettre au clair les magouilles qui mènent à la volatilisation de l’argent destiné aux policiers de cette ville. On a parlé de millions de francs congolais. Deux députés du Nord-Kivu se sont attaqués au ministre de la Justice qui a montré son incapacité à gérer cette vague d’évasions depuis le 17 mai. »
Et s’il y avait complicité ?
Si l’on doit considérer que ces évasions ne sont pas le résultat de la négligence ou de l’incompétence, il faudrait alors soupçonner la complicité de certains de nos dirigeants. Didier Makal estime qu’il faudrait une enquête sérieuse. « Si les évasions se répètent, cela apparaît maintenant comme voulu et planifié. Une enquête sérieuse doit être rapidement menée, et les conclusions rendues publiques, pour tirer au clair cette situation », soutient-t-il.
La société civile de Beni soupçonne aussi une main noire gouvernementale derrière l’attaque de la prison de Kangbayi. Kizito Bin Hangi de l’Association africaine pour les droits humains (Asadho) déclare : « L’évasion de la prison de Kangbayi aurait été organisée. Certaines autorités auraient planifié cette évasion de peur d’être citées par les prévenus comparaissant dans le procès sur les massacres des civils de Beni. »
Quoi qu’il arrive, cette vague d’évasions va avoir inéluctablement comme conséquence la résurgence de l’insécurité dans le pays. Les prisons de Makala et Kangbayi sont parmi celles qui abritaient les pires criminels. Les présumés coupables des massacres qui ont couté la vie à plus de 1500 personnes à Beni sont aujourd’hui en liberté. Ce qui fait craindre la reprise des tueries.
Le gouvernement congolais doit prendre les mesures nécessaires pour éviter de telles évasions à l’avenir.