Sur le boulevard du 30 juin le commerce à la sauvette, Kinshasa 2019, @HabariRDC
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« Ils sont là », la technique de marketing des vendeurs ambulants à Kinshasa

Vous êtes une jeune femme, vous allez au marché faire des emplettes. Vous avancez tranquillement entre les tables quand soudain une main surgit de nulle part et saisit votre bras… Vous prenez le bus pour aller voir un ami. Il fait chaud alors vous ouvrez la fenêtre. Une tête apparaît en provenance de je ne sais où et vous présente un paquet…  Ils sont là. Les avez-vous remarqués ? Ces colporteurs et vendeurs à la criée qui peuplent la capitale ? Moi, ils me fascinent beaucoup.

Oubliez le marketing digital, le marketing d’influence ou encore je ne sais quel autre marketing 3.0. Oubliez tout ça une minute et laissez-moi vous présenter le marketing Made in Kinshasa.

   1.Le marketing hardcore

Vous retrouverez ce genre de marketeurs dans les marchés comme Zando ou Gambela à Kinshasa. Ce sont généralement des vendeurs d’habits qui surgissent de nulle part et n’hésitent pas à saisir les bras des clientes pour les attirer vers leurs étales. Ils m’énervent parfois, surtout quand je n’ai aucune envie d’acheter, mais je dois avouer que plus d’une fois, je me suis laissée convaincre par ces marketeurs envahissants. Ils sont très tenaces et peuvent te suivre pendant un long moment toujours en tenant ton bras comme si vous vous connaissiez. Leur technique ressemble un peu à de la drague, je dirais plutôt du harcèlement.

  2.Le marketing de manipulation

Dans cette catégorie, il y a les vendeurs des mouchoirs en papier, livres, boissons fraîches. Bref, les vendeurs ambulants qu’on croise parfois dans les arrêts de bus. Eux, ils essaient de te convaincre que tu as absolument besoin de leurs produits avec des arguments comme : « Yo muasi kitoko boye ozo tika mutoki etungisa yo ? Zua papier mouchoir. » (Toi, une si belle femme, tu laisses la sueur te déranger ! Prends ce papier-mouchoir). Ou encore : « Moboti ko négliger mayele ya bana te, somba livre » (Parent, ne néglige pas le savoir de tes enfants, achète-leur un livre). Ils ont des arguments pour flatter l’ego ou créer une sorte de culpabilité et te pousser à acheter. Et sur le coup, ils te donnent l’impression de te sauver la vie.

  3.Marketing de sonorités

C’est celui que je préfère. Ici les vendeurs utilisent certains sons pour attirer l’attention. Il y a les petits vendeurs de vernis qui offrent les services de pédicure et manucure à travers la ville. Il suffit d’entendre les cliquetis de bouteilles en verre qui s’entrechoquent pour savoir qu’ils passent. Les cireurs aussi ont leur son. Ils tapent des morceaux de bois entre eux et ça y est ! Le signal est lancé. Avant, il y avait aussi les vendeurs d’huile pour lampe-tempête « bana ya pétrole », mais ils ont disparu parce que les gens utilisent de moins en moins les lampes à pétrole.

Je me demande pourquoi à Kinshasa les vendeurs deviennent les enfants de ce qu’ils vendent… Je veux dire « bana ya vernis » ou « bana ya pétrole » ça signifie littéralement « enfant du vernis » ou « enfants du pétrole ». Es-ce une manière de souligner que ce travail devient leur parent comme le dit le célèbre proverbe : « Mosala nde papa na maman » ? Peut-être bien, mais bon ça c’est une autre histoire.

  4.Marketing de « générique »

Je les appelle comme ça parce  qu’ils créent des formules qui sont aussi célèbres que les « génériques » de nos musiciens. Des vendeuses de légumes aux réparateurs de téléphone, nous avons droit à des formules comme « Ngai-ngai, pondu, Matembele yang’oyo eleki » et « Toza pé ko déverrouiller ba téléphones ». Les lavandières aussi ont leur phrase pour signaler leur passage aux clients. Et même ceux qui « chargent » les bus dans les arrêts  ont des formules bien à eux pour attirer les clients. Ces phrases sont si originales et accrocheuses qu’elles restent dans les mémoires. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je me suis déjà surprise en train de répéter une de ces phrases que j’entends chez les vendeurs. Parfois même, ces phrases inspirent nos musiciens.

Voilà quelques formes de marketing que j’ai observé dans la ville de Kinshasa. Vous en avez peut-être déjà vu d’autres. Ce que j’admire chez ces colporteurs urbains c’est leur créativité et leur ténacité. Ils font tout ce qui est possible pour vendre. Il y a quelques jours je suis tombée sur un vendeur de produits de beauté qui s’était lui-même maquillé pour attirer l’attention.  Et ceux qui sont encore plus intéressant, ce sont les vendeurs de charcuterie, (bana ya boudin). Ils sont si tenaces et audacieux que cela leur a valu une expression. « Courage ya bana ya boudin », utilisé pour désigner une personne qui n’a pas froid aux yeux.

Qu’ils surgissent de nulle part ou qu’ils plantent des phrases dans nos cerveaux, ces marketeurs kinois sont créatifs et ils donnent une touche particulière à la ville. Même si certains se sentent parfois harcelés par eux, j’ai toujours eu du mal à imaginer la ville sans eux.

À bientôt, je vous laisse avec Damso pour vous « ambiancer » avec le son « Kin la belle. »

 

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Les commentaires récents (4)

  1. bel article accrocheur et démontrant la facette innovante des pratiques quotidiennes liées à un secteur professionnel donné: bravo Mme Aziz…

  2. Bonjour !
    Madame Soraya Odia , j’aimerais savoir comment appelle – t-on le fondateur de vendeur ambulant de café ?