J’arrive à 8h00 devant le point de départ de la marche de l’opposition à Kinshasa. Les rues sont remplies de monde et les gens chantent en faisant tournoyer au dessus de leur tête des drapeaux des partis politiques. Je suis venu aujourd’hui pour observer la manifestation et alimenter mon blog. Ma démarche était pacifique. J’étais loin de m’imaginer que j’allais vivre des heures douloureuses : arrestation, vol, coups, menaces et interrogatoire musclé.
Un début pacifique
Sur le boulevard triomphal, tout commence bien, les manifestants chantent « policier yebela, Kabila mandat esili” (sois prudent cher policier, le mandat de Kabila est à sa fin), « to lembi ba pasi, kabila il faut okende” (nous en avons marre des souffrances, Kabila dois partir) et “bemba sala ozonga” (que Bemba rentre vite). Un petit groupe de policiers escorte les manifestants dans le calme. Mais lorsque le Général Kanyama et sa suite débarquent dans le cortége, c’est le début de la catastrophe.
Les affrontements
Devant la maison Shengen, Les manifestants et les policiers se font face. Très vite, la police tire les gaz lacrymogènes et distribue des coups de matraque. Certains tentent de résister et jettent des pierres. La situation dégénère, je cherche un abri pour me cacher et j’entre dans une boutique.
L’ arrestation inattendue
Soudain, un agent habillé en civil vient devant la boutique et appelle une jeep pour nous arrêter. Nous sommes plusieurs dans le magasin et nous sommes tous arrêtés sous prétexte que nous troublons l’ordre public. « boko yeba lelo” (vous allez nous sentir aujourd’hui) lance un policier. Les policiers-voleurs me dépouillent de tout ce que je possède : chaussures, téléphone, porte-monnaie, sac à dos dans lequel il y a mon ordinateur, lunettes médicales, montre, chemise et même un simple porte-clefs.
Je réclame mes lunettes sans lesquelles ma vue n’est pas bonne. Un policier me piétine alors le visage et me donne trois coups de pieds à la tête en ajoutant en swahili : “ba bumbafu muta kufwa leo” (les idiots, vous allez mourir aujourd’hui). Nous sommes embarqués dans la jeep qui nous dépose dans un commissariat.
Pendant ce temps au commissariat
“fanda na se, kanga munoko” (assieds-toi par terre et ne dit rien), hurle un policier. Nous sommes cinq et parmi nous un homme est gravement blessé à la tête. Son sang coule à flot, il pleure et crie sans que personne ne fasse attention à son malheur. Ce n’est qu’une heure après, alors qu’il commencait à perdre connaissance, qu’il a été conduit vers un médecin. Nous sommes a présent conduits dans un bureau, où nous attendent quatre personnes identifiées comme étant des OPJ (officiers de police judiciaire) et des agents du renseignement.
Le long questionnement
Le bureau est climatisé avec des ordinateurs et plein de papiers sur les tables. Certains agents écoutent la radio RFI tandis que d’autres regardent un film sur un ordinateur. L’interrogatoire commence : « Qui es-tu ? Pourquoi tu marches ? Tu fais quoi dans la vie ? Tu es de quelle province ? On t’a donné combien ? ”. Ils avaient déjà une image figée de moi. Nous étions tous des manifestants à leurs yeux. Pourtant même cela ne leur donnait aucun droit d’arrestation. Mais ces hommes trouvent toujours une infraction pour justifier leurs arrestions arbitraires. « On lui donne quelle infraction à celui-ci ? ”, disaient les OPJ.
Le coup de grâce
Soudain, l’un d’eux reçoit un appel téléphonique. « Il n’y a pas leurs noms ? Ok! Ok! Je les gardes quand même quelques heures”. L’agent vient d’être informé que nos noms ne figuraient pas dans leur liste noir et qu’il pouvait nous libérer. Mais pour se faire un peu d’argent, il décide de nous garder encore quelques heures et exige une rançon de 20$ par individu. Une connaissance de circonstance venue voir son frère lui aussi arrêté, paye pour ma liberté et me trouve de quoi m’habiller. Quant aux objets réquisitionnés par les policiers-voleurs, aucune suite n’est envisageable. « Ta liberté ne te suffit pas ? ” me demande un policier. En sortant, un agent ajoute: « toi, ne va pas dire que nous t’avons fait souffrir. Tu as été dans un bureau climatisé. C’est mieux que chez toi ici ”. Me voilà enfin libre !
Ce jour, je me suis rappelé de cette phrase de ma mère : « la liberté ne se donne pas sur un plateau, elle s’ arrache”. J’ai compris aujourd’hui que seul le peuple pouvait libérer le Congo de ce joug d’individus auto-postés au pouvoir. J’ai compris que c’est notre silence qui est à la base de nos peines. La libération du Congo ne viendra pas de l’occident, pas non plus de la majorité au pouvoir, encore moins de l’opposition. Mais du peuple congolais… Etudiants, travailleurs, chômeurs, nous devons nous battre pour ne plus être étrangers chez nous. L’exil n’est pas la solution, la solution est au pays.