« Plus un conflit perdure, plus il est oublié », déclare un membre du staff du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) en province du Nord-Ubangui. La relocalisation des réfugiés centrafricains installés en RDC loin de la frontière de leur pays constitue, pour le moment, un enjeu de taille tant pour le gouvernement congolais que pour le HCR.
C’est depuis 2013 en effet, que le Congo-Kinshasa a ouvert ses frontières à de nombreux Centrafricains fuyant leur pays. La Centrafrique est en proie à une guérilla sans précédent opposant les milices Seleka et Antibalaka. L’afflux s’est accentué en mai 2017 avec le regain de violences, occasionnant mort d’hommes.
Selon les statistiques du HCR au 30 avril 2018, 61 283 réfugiés vivent dans les camps créés à cet effet dans les provinces congolaises du Sud et Nord-Ubangui. Par contre 120 621 autres réfugiés centrafricains ont préféré rester près de chez eux dans des familles d’accueil ou sur des sites construits au bord de la rivière Ubangui. Ces chiffres peuvent être revus à la hausse étant donné que la Centrafrique n’a pas encore retrouvé la paix.
Vivant dans des conditions précaires, certains réfugiés – à en croire le rapport de Médecins sans frontières – n’hésitent pas à effectuer des « mouvements de va-et-vient entre le site d’hébergement et leur pays séparé de la RDC par la rivière Ubangui ».
Voici une enquête sur les réfugiés centrafricains, réalisée par deux médias africains, notamment Tchad infos du Tchad et Habari RDC de la République démocratique du Congo, dans le cadre du projet Naila porté par CFI.
Rencontrer les réfugiés centrafricains à la frontière avec la RDC
Nous sommes allés à la rencontre du premier groupe de réfugiés centrafricains dans le village d’Inke situé à 45 km de la ville de Gbadolité, dans la province congolaise du Nord-Ubangui. C’est à 70 km de la frontière avec la Centrafrique.
Pour y arriver, nous avons dû prendre un avion de Kinshasa à Gemena le mercredi 09 mai 2018. Quel doux voyage d’une heure vingt minutes dans un ciel congolais nuageux ce jour-là ! Près de 1000 km de vol non stop. Sitôt arrivé, commençait pour nous le chemin de croix, car nous avons parcouru près de 300 km à moto en pleine forêt équatoriale pour relier Gemena dans la province du Sud-Ubangui à Gbadolité. Cela nous a pris sept heures d’horloge.
Le jour suivant, dans un cortège de quatre véhicules notamment trois jeeps et un minibus, tous avec mention « HCR », nous reprenons la Nationale numéro 24 vers le Sud. Après avoir roulé sur de l’asphalte bordé par de petits villages dont Kawele sur près de 25 km, nous continuons la route sur terre battue. Le chauffeur roule aussi vite qu’il le peut. Seuls obstacles sur la route : les chèvres et les flaques d’eau.
Après 45 km, nous apercevons une pancarte avec mention : « Village d’Inke. » Le chauffeur vire à gauche. Une minute après, une deuxième pancarte apparait, cette fois la mention est : « Champ communautaire. » Réfugiés et autochtones du coin y cultivent la terre ensemble pour subvenir à leurs besoins, apprendrai-je plus tard.
A peine, avons-nous dépassé cette étape, ça y est ! Nous virons sur un site bien aménagé. Une partie de la savane semble avoir été détruite au profit de l’érection de six grandes paillottes. Trois au Sud, une au Nord, et deux à l’Est. Il y a aussi tout un espace pour le stationnement des véhicules dans un coin où le mieux nanti a à peine un vélo.
La danse pour oublier le calvaire
L’explication à ce mystère, je la trouve tout de suite en descendant de la jeep. En effet, ce jeudi 10 mai 2018, jour où nous posons nos pieds dans ce camp de réfugiés qui porte le même nom que le village qui l’abrite, l’heure est à la danse, ou plutôt au spectacle dénommé « Tongoro na beku » (Étoile de l’espoir).
Devant nous, des femmes et des hommes, tous la trentaine révolue. Ils portent chacun un t-shirt blanc avec comme inscription une carte d’Afrique peinte en jaune. Ils chantent en chœur en lingala, une des langues congolaises, la main droite imitant le mouvement d’un oiseau en plein vol. « Ndeke mooko azalakiii na katiii ya mayiii… » En français : « Un oiseau se noyait dans l’eau… »
Puis le rythme s’accélère. La mélancolie cède à un chant comparable à ceux des Indiens. Les guerriers circonstanciels, habillés certains en lambeaux, d’autres pieds nus ou en babouches, crient en chœur : « RCA », « RCA » [République centrafricaine Ndlr]. Au même moment, trois colonnes d’hommes et de femmes font leur entrée sur la scène. En référence au cadran d’une horloge ; la première colonne est à 11 heures, essentiellement constituée par des enfants ; la seconde à 13 heures constituée de vieilles dames et une dernière colonne de jeunes hommes à 15 heures juste en face de la chorale immobilisée à 9 heures. Leur nombre total est de 610 – ils étaient 1008 lors des répétitions. Ce sont des réfugiés venus de la Centrafrique mélangés aux autochtones d’Inke.
En face d’eux, une audience en forme d’arc. Et on pouvait y reconnaître facilement les autorités locales et les représentants des organisations internationales installées sous les trois paillotes du Nord qui les protègent d’un soleil de plomb. Ces hôtes sont entourés d’autres réfugiés et autochtones debout ou assis à même le sol. Une assistance bien particulière venue contempler ce spectacle animé pendant près de 3 heures par diverses chorégraphies.
L’initiative est de l’ONG African artists for developpement dont le programme « Refugees on the Move » repose sur « l’idée de faire de la danse un outil de médiation sociale et culturelle au sein d’une dizaine de camps de réfugiés en Afrique subsaharienne ».
Malgré les sourires et les acclamations qui raisonnent par intermittence dans ce public particulier, le spectacle est loin d’effacer de la mémoire collective de ces milliers d’âmes, les souvenirs macabres des violences qu’elles ont vécues en Centrafrique.
La pauvreté et la violence à l’origine des fuites
Jean Gakoso, originaire de Ngakobo en Centrafrique, est installé dans ce camp depuis 2013. Lorsqu’éclate le conflit Seleka-Antibalaka, il était employé comme chauffeur d’un particulier. « J’ai été arrêté avec mon patron à notre retour de Bambari », raconte-t-il. Les Seleka lui ont demandé de payer une amende. Jean ajoute : « Sans sommation aucune, un d’entre eux a tiré sur mon patron. » Quelques secondes après avoir respiré profondément, Jean poursuit : « C’est un cauchemar dont je cherche encore à me remettre. » Le jeune homme se souvient juste avoir entendu : « On commence par celui qui est censé avoir l’argent. » Puis une détonation s’est fait entendre : pan ! Un corps s’écroule comme un sac, et c’est son patron qui vient d’être tué.
Le chauffeur Jean Gakoso, sera quant à lui torturé puis emprisonné pendant quatre jours. La vie sauve, il la doit à une rivière. « Je suis resté près d’une journée dans la grande rivière Waka », nous a-t-il confié. Et ce, après avoir échappé à ses vigiles lors de son transfèrement vers un autre site d’emprisonnement. « Je me suis enfui par la suite à Yama avant de traverser la rivière Ubangui en RDC ». Il a laissé derrière lui une patrie, une femme et deux enfants dont il n’a plus aucune nouvelle.
Agweme Irme Dieudonné, un autre réfugié centrafricain, s’approche tout doucement de moi pendant que je parle à son compatriote. Il nous raconte lui aussi son histoire. Il dit qu’il revenait d’un deuil accompagné de son père Manambi Edouard et son frère Ngwaleka Roger. C’était une de ses nuits tièdes, calme et surtout très sombre. Subitement, un bruit étrange vient perturber leur paisible marche. Le père braque la torche et voit surgir des arbres un groupe d’hommes, tels des revenants.
Dieudonné et sa famille sont arrêtés sur place puisque soupçonnés d’être membres de l’armée centrafricaine. Pour retrouver la liberté, ils doivent payer 200 000 FCFA qu’ils n’ont pas. « Quelle somme colossale ! » s’exclame Dieudonné, comme s’il revivait la scène. « C’était un miracle qu’ils nous demandaient d’opérer », poursuit-il.
Et cette nuit-là, ils ne savent où trouver 200 000 FCFA. La situation tourne très vite au vinaigre. « Ils nous ont donc intimé l’ordre de courir. Brusquement une déflagration derrière nous ! Une balle est partie. Et c’est papa qui a été atteint », nous relate Agweme dont le visage s’est tout d’un coup assombri. Les deux frères n’ont eu d’autre choix que de continuer à courir.
Le jour suivant, ils traversent la rivière vers la RDC. « Nous avons eu peur de finir comme des animaux dans un abattoir », lâche le jeune refugié visiblement troublé par les souvenirs qui lui remontent à l’esprit.
Les conditions de vie dans le camp
Le camp d’Inke qui les héberge a été ouvert le 10 juin 2013. Il compte 13 zones divisées en 39 blocs. La population du camp est composée, à en croire le HCR, de populations Banda (54%) Ngbandi (41%) et d’autres groupes ethniques (5%).
A leur arrivée sur le sol congolais, les réfugiés sont accueillis par l’agence nationale des renseignements (ANR), puis par la commission nationale des réfugiés, (CNR). Ces deux services de l’État congolais veillent à identifier toute personne ayant trouvé refuge en RDC, afin de séparer les civils de miliciens ou de militaires. De son côté, le HCR vient en appui, notamment en termes de transport et de primes pour ceux qui sont chargés d’éxecuter le travail d’identification. À la CNR, on affirme que peu de miliciens osent se faufiler parmi les réfugiés. Ces derniers sont chrétiens et musulmans.
Dans certains camps, comme à Kotakoli, nous affirmera un membre du staff du HCR, les musulmans ont été pris à partie par des chrétiens. Mais c’est un cas isolé, car généralement une fois en RDC, les deux groupes cohabitent pacifiquement. Il faut tout de même signaler qu’à Inke, sur un même espace, les chrétiens sont séparés de musulmans.
Pour faciliter une cohabitation pacifique entre réfugiés et autochtones, et permettre l’auto prise en charge, « les deux communautés réalisent plusieurs activités ensemble dans le cadre de l’autonomisation dont des champs communautaires », affirme un membre du staff du HCR.
Un chef coutumier local nous affirme que, d’une manière générale, les réfugiés sont bien accueillis par la population congolaise. « La RDC est un pays hospitalier », répète-t-il, tout en déplorant les conditions dans lesquelles vivent les Centrafricains qu’il considère comme « nos frères et sœurs ».
Cependant, les populations locales estiment tout de même que la venue des réfugiés a rendu la vie difficile dans leur milieu. La concurrence au marché est devenue déloyale. On se dispute régulièrement les espaces, les champs, les lieux de pêche, etc.
Autrefois, les réfugies recevaient tout de même une ration mensuelle composée de riz, maïs, haricots, sel et huile. Depuis le début de l’année 2018, ils doivent se contenter de 16 500 francs congolais soit 10 dollars américains le mois, soit 550 francs (0,33$) par jour.
Une situation que déplore Gakoso qui se rappelle qu’il touchait 57 550 FCFA la semaine en Centrafrique. Pour vivre ou plutôt survivre ici au camp, il est désormais contraint de proposer de petits services principalement des travaux champêtres auprès des autochtones. « On me paye toujours moins de 500 francs congolais (environ 0.3$). La vie est devenue misérable dans le camp », grogne-t-il.
« C’est une situation paradoxale », explique Léonidas Nkurunziza, responsable du HCR, étonné. Il révèle que « ce sont pourtant les réfugiés eux-mêmes qui ont refusé la nourriture, optant pour de l’argent ». D’ailleurs, renchérit-il, « la même situation est observée dans le camp de Bili en ce moment ».
Le chef de la sous-délégation du HCR de Gbado nous a ouvert la porte de son bureau modeste mais spacieux, le lundi 14 mai 2018. Très confiant dans chacune de ses réponses à nos questions, derrière ses lunettes claires, il soutient que son organisme a mis en place les conditions nécessaires qui permettent aux réfugiés et aux autochtones de se prendre en charge. « Dès lors que les réfugiés se mettent à nous réclamer de l’argent plutôt que la nourriture, c’est pour nous un ouf de soulagement », estime-t-il.
Le HCR a demandé et obtenu du gouvernement congolais plus ou moins 750 hectares qui abritent des champs communautaires et 4 pépinières pour le reboisement dans les zones où se trouvent les réfugiés centrafricains. Hélas, par manque de moyens, une grande partie reste inexploitée.
Un budget décroissant chaque année
Cependant, une chose est vraie : chaque année, le montant alloué à l’aide humanitaire va décroissant. « Plus un conflit perdure, plus il est oublié », déplore un membre du staff du HCR. Pour Nkurunziza, la situation politique de la RDC est un facteur qui joue en défaveur de l’aide humanitaire. La situation de crise au Congo-Kinshasa est l’élément qui détourne l’attention des bailleurs de fonds. Ils regardent vers des foyers où l’urgence s’impose. Après tout pour eux, « entre des refugiés en terre arable bercée par un climat propice à l’agriculture et ceux qui se retrouvent en terre désertique, le choix est clair », commente Léonidas Nkurunziza.
Jusqu’au 24 avril 2018, sur un montant de 201 millions de dollars américains attendus pour voler au secours de tous les réfugiés éparpillés sur le territoire congolais, le HCR n’a reçu que 21,7 millions de dollars américains, soit 11% du budget total. En 2017, le budget avoisinait 25%. Avec ça, « nous adaptons nos stratégies aux moyens », nous dira sereinement le numéro du HCR Gbado pour balayer l’inquiétude selon laquelle « la situation risque d’être explosive à la longue si rien ne change ».
Une des stratégies justement consiste à laisser les réfugies hors du camp. Officiellement, le choix relève des concernés eux-mêmes qui, dit-on, ont opté pour rester au bord de la rivière Ubangui afin d’être ainsi proches de leur terre natale et pécher dans les eaux pour se nourrir, ou encore pour entretenir leur champs juste en face de la frontière de leur pays.
S’il est vrai que selon l’article 26 de la Convention de Genève, « tout Etat contractant est appelé à accorder aux réfugiés se trouvant régulièrement sur son territoire le droit d’y choisir leur lieu de résidence et d’y circuler librement sous les réserves institués par la réglementation applicable aux étrangers en général dans les mêmes circonstances », il convient néanmoins de préciser qu’au terme de l’article 2 point 6 de la Convention de l’Union africaine, il est clairement établi que « pour des raisons de sécurité, les Etats d’asile devront, dans toute la mesure du possible, installer les réfugiés à une distance raisonnable de la frontière de leur pays d’origine ».
Dans une conversation téléphonique, le chef du territoire d’Ubangui Isaac reconnait que « l’Etat congolais éprouve d’énormes difficultés à encadrer l’ensemble de réfugiés centrafricains ».
Donc le manque de moyens du côté du gouvernement congolais et de son partenaire, le HCR, serait l’obstacle principal à la relocalisation des réfugiés vivant au bord de la rivière Ubangui.
À suivre.
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