Crédit: Pascal Mulegwa
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Chroniques d’un week-end de protestation à Kinshasa

Un gouvernement qui va en guerre contre sa population, c’est l’impression que nous avons eue à Kinshasa, du samedi 20 janvier au dimanche 21 janvier 2018. De Matete à Ngaba, en passant par le centre-ville, nous vous racontons ces deux jours noirs que nous n’oublierons jamais !

Ce samedi était plutôt terne, le soleil n’était pas au rendez-vous. Le temps parfait pour remplir les Nganda, la nuit venue. C’était sans compter sur la malice de ceux qui nous gouvernent. En début d’après-midi, le décor change sur différents tronçons de la ville notamment sur le boulevard du 30 juin, la route des poids de lourds et le boulevard Lumumba.

Les policiers sont déployés sur le terrain. Ils sont armés. Les hommes en uniforme bleu ont placé des barrières sur les routes. Les  barricades sont faites de casiers de boissons, de paniers en plastique, de tables et bancs en bois ou de chaises en plastique superposées. Les voitures avancent au ralenti à cause des nombreux contrôles créant de monstrueux embouteillages.

De Kintambo à Matete, en passant par Victoire et Bandalungwa, des coins les plus fréquentés comme les moins passants, sont remplis de policiers et  de militaires qui fouillent les véhicules et les badauds. Impossible de passer sans sa carte d’électeur. Certaines femmes les portent déjà autour de leur cou à force d’être fouillées aux différents postes de contrôle. « Même s’ils font ça, les infiltrés, s’il y en a, ne vont jamais passer par ici sachant qu’ils vont se faire arrêter… Ce sont des intimidations inutiles… bakende na kimia  (qu’ils dégagent dans le calme) », lâche une femme assise à côté de moi dans le taxi, avec sa carte d’électeur en collier. On se demande si ces fouilles servent à identifier les potentiels « fauteurs de troubles » de la marche du jour suivant… Toutefois, les fouilles se poursuivent jusque tard dans la nuit.   

Les policiers profitent de la situation pour arnaquer les paisibles citoyens, conducteurs de moto et autres en leur exigeant de l’argent pour pouvoir passer la barrière.

Cette scène filmée non loin de la maison communale de Ngaba illustre bien la situation désolante.

Une ville militarisée

Il est 6h00, nous sommes le 21 janvier 2018, le jour décrété par le Comité Laïc de Coordination (CLC) pour organiser sa marche pacifique en vue de l’obtention du respect de l’accord de la Saint Sylvestre. Si la marche doit être pacifique, en face, le gouvernement n’a rien de pacifique au regard du dispositif militaire déployé. Quinze barrages routiers sont érigés sur la seule route Bypass allant de l’UPN au RP Ngaba. A Ngaliema, des véhicules blindés sont placés sur l’avenue Escorte, tout près du Camp Tshatshi. « Il n’y avait même pas moyen de sortir. Ces véhicules étaient tous pointés vers nous », raconte une habitante du quartier Museyi.

Le jeu de dé entre militaires et manifestants

Au rond-point Ngaba, les militaires sont assis de part et d’autre de la station service Engen, prêts à intervenir. Comme s’ils allaient en mission de guerre, les agents de la Croix Rouge circulent avec leurs brancards, en attendant des cas à secourir. A quelques mètres de là, les jeunes du quartier Righini brulent des pneus. Les curés vêtus de leurs soutanes, les religieuses et fidèles de la paroisse Reine des apôtres du même quartier, qui ont tenté de marcher vers la station, sont arrêtés et entassés dans un camion militaire comme dans une boite de sardine.

La population tout autour de la station commence à murmurer et à se rassembler… Des chants commencent à se faire entendre. « Te ba kokende te… Bomema biso nyoso » (Ils n’iront nulle part, amenez-nous tous !) Remarquant cela, un policier s’approche de nous, il charge son arme et tire trois balles en l’air. Tout le monde prend alors la fuite. Je me suis retrouvé dans la chambre d’une maison d’inconnus, avant d’y sortir pour enfin, continuer ma route.

Le calme est de retour et les militaires en profitent pour évacuer ces hommes d’Eglise à bord de leurs véhicules pour une destination inconnue, sifflés par les mamans vendeuses au marché.

Avec des rameaux en main, nous marchons en chantant

Il est 9h00. La seule et unique messe de la paroisse Saint Alphonse dans la commune de Matete au quartier Kinzazi se termine. Les prêtres prennent les devants. Ils franchissent le seuil du portail principal de la paroisse qui se trouve en face du marché de Matete. Avec des rameaux en main, nous marchons à leur suite en chantant. Les voix s’unissent pour scander « Tokobunda na nzoto te, tokobunda na molimo » (Nous ne nous battrons pas physiquement, mais en esprit)  ou encore « Nzambe aponi yo osalela ye na nzoto pe na motema na yo mobimba » (Dieu t’a choisi afin que tu le serves de tout ton cœur).

Nous sommes nombreux. Et parmi nous il y a des hommes et des femmes, des jeunes et des adultes, et les vieilles mamans catholiques ne se sont soustraites. Ensemble, nous nous dirigeons vers le boulevard Lumumba après avoir fait le tour du pont Matete avant de retourner à la paroisse. Nous rencontrons deux barrières, l’une au quartier Banunu, l’autre au croisement des quartiers Kinzazi et Lokoro. Arrivés là, les policiers tirent des gaz lacrymogènes pour nous disperser. « Avancer ou reculer ? », nous nous demandons entre nous. Nous décidons finalement d’avancer et de continuer notre marche. Ils ont fini par comprendre que ni les gaz lacrymogènes, ni les balles ne sont capables d’arrêter une population décider à obtenir sa liberté.

Alors que la population se préparait pour une marche pacifique, c’est pour une guerre contre sa propre population qu’étaient préparés nos militaires et policiers. Sommes-nous en train de vivre dans une prison à ciel ouvert au point de ne pas avoir le droit de réclamer quelque chose contre la volonté des élus ? N’est-ce pas ça la dictature ? A quoi sert le mot « démocratie » placé dans le nom de notre pays ?

 


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